Nymphéas noirs, de Michel Bussi

Les-nympheas-noirsEn exergue de ce livre : « Non ! Non ! Pas de noir pour Monet, voyons ! Le noir n’est pas une couleur » (Clemenceau au pied du cercueil de Monet)

Si le Blogoclub n’avait pas inscrit Michel Bussi à son programme de lecture du 1er mars, je n’aurais sans doute pas ouvert Nymphéas noirs, le roman qui a pourtant fait son succès. Non que je méprise l’auteur populaire : la preuve, j’avais auparavant déjà lu deux de ses livres (Un avion sans elle et Le temps est assassin). Mais je lis du polar à dose homéopathique, de préférence l’été sur la plage (ou dans les transports en commun, mais je ne les prends plus depuis que je suis en Suisse, quant à la plage…).

Par mes lectures précédentes, j’avais compris que Bussi affectionnait les trames « impossibles » et calamiteuses : une femme qui redonne signe de vie alors qu’elle est censée avoir trépassé dans un accident de voiture 20 ans auparavant ; une gamine seule rescapée d’un accident d’avion quand elle n’était qu’un bébé, dont deux familles réclament la parenté… Voilà un auteur qui sait appâter son lecteur et qui résout ses énigmes de manière sophistiquée (voire tirée par les bigoudis). En prime, en bon professeur de géographie qu’il est, il ne manque pas d’ancrer ses romans dans des lieux bien déterminés (Dieppe, la Corse) et nous installe dans des paysages de toute beauté. Pour le style, on repassera…

Résultat de recherche d'images pour Nymphéas noirs est un peu différent. Certes lui aussi est ancré dans un lieu bien précis, un lieu saturé de significations chatoyantes comme les tableaux impressionnistes : Giverny. Le village où Claude Monet peignit inlassablement son étang de nénuphars durant les vingt dernières années de sa vie, les célèbres Nymphéas (j’apprends  qu’il en existerait au total 272). « LE village impressionniste » par excellence, appellation d’origine contrôlée, donc, où depuis les années 1920 les peintres en herbes et les touristes se pressent par millions pour admirer le jardin du Maître. Un village figé dans l’apparence qu’il avait au début du XXe siècle, bardé de règlementations. Pas facile pour les Givernois d’y vivre au naturel…

« Toutes les trois pensaient que le village était une prison, un grand et beau jardin, mais grillagé. Comme le parc d’un asile. Un trompe-l’oeil. Un tableau dont il serait impossible de déborder du cadre. » (p. 12).

Ce roman policier commence comme un conte de fées (un peu à la manière de Sébastien Japrisot dans Piège pour Cendrillon) : « Trois femmes vivaient dans un village … ». Mais il se poursuit très classiquement : le corps sans vie d’un homme est retrouvé un matin le crâne défoncé, baignant dans le ru de l’Epte qui traverse le village. Son nom est Jérôme Morval (j’y ai vu le « mort du val », le cadre bucolique faisant d’ailleurs penser au « dormeur du val » de Rimbaud).

« L’eau claire de la rivière se colore de rose, par petits filets, comme l’éphémère teinte pastel d’un jet d’eau dans lequel on rince un pinceau. » (p. 17)

On apprend que Jérôme Morval était un ophtalmologue reconnu (les yeux, le regard… bon d’accord, je cherche peut-être des clins d’oeil là où il n’y a rien !). Il avait acheté la plus belle maison de son village d’enfance. Le commissariat de Vernon est sur l’affaire : l’inspecteur Laurenç Sérénac (affriolant Occitan qui marche à l’intuition) et son adjoint Silvio Bénavides (du genre appliqué et pointilleux). Voilà pour le tandem de flics, rien de très original, mais ça fonctionne.

En parallèle, nous avons le monologue d’une vieille femme qui vit dans la tour du moulin de Chennevières (qui domine impeccablement la scène du crime). Comme les choeurs des tragédies antiques, elle ne perd pas une miette du drame qui se passe, commente les actions des uns et des autres depuis sa tour, annonce des malheurs prochains et observe sans complaisance ce qu’est devenu Giverny (un Disneyland impressionniste).

Les indices mènent les inspecteurs dans des directions clairement différentes et incompatibles. Jérôme Morval guignait à la fois des nymphes et des Nymphéas ; bref, il voulait jouer sur tous les tableaux (haha). Un enfant mystérieux semble également concerné.

Résultat de recherche d'images pour J’avoue que Bussi m’a vraiment sciée. Je n’avais pas vu un twist aussi subversif depuis La mort de Roger Ackroyd d’Agatha Christie, du genre qui donne envie de relire le livre sous un regard différent. J’ai également été (coeur de midinette je suis) touchée par l’histoire d’amour et son parfum de fatalité. L’auteur m’a impressionnée (le mot à caser) jusqu’au bout. Enfin, j’ai appris des tas de choses sur la peinture et l’industrie touristique autour de Giverny (et me dirigerai sans hésiter vers le musée de Vernon si j’en avais l’occasion pour voir le Baiser de Steinlen).

Alors certes, les « putain » côtoient les « bordel » et les « au final » (mais aussi les vers d’Aragon et les extraits d’Aurélien et des références à Madame Bovary et à l’élégance du hérisson). Mais ne boudons pas notre plaisir : un très bon cru que ces Nymphéas noirs ! Le meilleur, sans doute, que j’ai lu de l’auteur normand jusqu’ici et que je recommanderais sans hésiter.

L’avis de Galéa (2014). Les participantes du Blogoclub ont lu également Michel Bussi :

« Nymphéas noirs » de Michel Bussi, Presses de la Cité, 2010, 438 p.

18 commentaires sur « Nymphéas noirs, de Michel Bussi »

    1. Oui, art et vie (et mort) se répondent… Un roman bien ficelé, prenant, qui se lit d’une traite.

  1. ah c’est le blogoclub (j’ai vu un autre bussi aujourd’hui), j’ai abandonné ce RV, soit j’ai déjà lu le livre soit je n’en ai pas envie. mais l’idée est bien.

    1. J’aime bien aussi ce rdv qui est suffisamment espacé pour ne pas être trop contraignant. Découvrir les avis des autres est toujours un plaisir.

    1. Lesquels as-tu lu ? Je trouve que Nymphéas noirs est au-dessus des deux autres que j’ai pu lire.

  2. j’y suis allée en traînant les pieds et sans blogoclub je n’aurais pas tenter de lire un autre roman de Bussi (déçue par « un avion sans aile ») mais celui-ci m’a plu par son originalité mais je vais en rester là je pense 🙂

    1. Je crois que c’est le meilleur de l’auteur, donc en effet le reste de sa production peut décevoir après celui-là !

      1. j’ai commencé avec « N’oublier jamais » (masse critique spéciale) qui m’a plu davantage que « un avion sans aile » (mais moins que « Les nymphéas…)

  3. Tiens, pourquoi pas ! Ça peut être sympa à emprunter à la bibliothèque dans une période d’envies de polars ! Ça fait un moment que je n’en ai pas lus d’ailleurs.

  4. j’avais adoré ce livre et je pense qu’il reste le meilleur de l’auteur! Je constate que tu ne lis que mes coups de cœur en ce moment! 😉

  5. J’aime beaucoup ta chronique ! Je suis entièrement d’accord avec toi. Et comme tout le monde semble d’accord sur le fait qu’il s’agit du meilleur roman de l’auteur, je crois que je vais m’en tenir là. Pour rester sur une bonne « impression » (je l’ai casé aussi). J’ai aussi noté le baiser de Steinlen si un jour je vais à Vernon…

    1. Merci Florence 🙂 Et je te rejoins sur le fait que cela donne envie de découvrir non seulement Giverny, mais aussi Vernon et son musée méconnu…

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