La série des Brunetti, de Donna Leon

Description de cette image, également commentée ci-après

L’année dernière j’ai découvert la plus vénitienne des autrices américaines, Donna Leon, et sa série policière mettant en scène le commissaire Guido Brunetti officiant à la questure de Venise. J’ai été agréablement surprise par la qualité de la narration et par la mise en perspective des enjeux liés à la cité des Doges, à l’Italie, au monde contemporain. Voici un résumé des deux titres que j’ai lus d’elle jusqu’à présent. J’ai lu le premier en version originale – son titre en français est différent (Entre deux eaux) mais je préfère l’original, en vénitien !

Acqua alta (1996)

Acqua Alta' by Donna Leon | Reading Matters

Dans ce cinquième opus de la série, Brunetti patauge, littéralement, dans l’eau de la lagune qui a inondé les rues de Venise durant le mois de février : c’est l’Acqua Alta. Cette inondation se fait la métaphore de la confusion dans laquelle se déroule l’enquête de Brunetti, coincé entre un chef incompétent, des procédures tortueuses et une mafia omniprésente. Le commissaire s’est promis de mettre la main sur les malfaiteurs qui ont tabassé son amie, l’archéologue américaine Brett Lynch. Ce faisant, il découvre tout un trafic d’objets anciens et très précieux dont l’archéologue aurait été la victime collatérale.

Italy was full of experts; some of them even knew what they were talking about.

L’embuscade finale, dans l’ambiance poisseuse et glauque d’un palais vénitien inondé, est un grand moment de littérature policière.

Mais ce qui fait le sel de toute cette histoire, c’est l’ironie avec laquelle l’autrice nous livre ses petits apartés sur la situation unique, insulaire, isolée de Venise. Et ce qui m’a le plus choquée, c’est l’histoire de l’hôpital public de Venise, construit à grands frais… mais sans système d’évacuation des eaux usées. Et où il faut payer des pots-de-vin aux infirmières pour qu’elles vous changent les draps.

It always surprised Brunetti that anyone who lived in a city where there were no cars would read an automobile magazine. Did some of his sea-locked fellow citizens dream of cars the way men in prison dreamed of women?

La place Saint-Marc de Venise sous les eaux à cause de la

Le garçon qui ne parlait pas (2015)

Le garçon qui ne parlait pas: Amazon.fr: Leon, Donna: Livres

Brunetti était content d’être là, à observer les palais et la lumière, ébloui, comme il l’était souvent, par leur infinie et insouciante beauté. La pierre, le ciel, l’or, le marbre, l’espace, les proportions, le chaos, le désordre, la gloire.

Lire une enquête du commissaire Brunetti à Venise nous transporte immédiatement dans les canaux, rues, cafés, places et palazzi que le commissaire arpente ou fréquente assidûment ! Je constate une nouvelle fois les talents littéraires de Donna Leon, et la finesse avec laquelle elle explore les méandres de l’âme humaine (et spécifiquement, italienne 🤣).

J’admire le fait qu’elle soit aussi attentive à la question de la langue (peut-être parce qu’elle vit depuis des décennies dans une culture qui n’est pas la sienne ?) Et le langage acquiert une importance toute particulière dans l’histoire du garçon « qui ne parlait pas » : dialectes italiens, jeux de mots, doubles sens, choses qu’on choisit de taire, etc.

Tous les détails, même les plus insignifiants, entrent en résonnance subtile les uns avec les autres, mais on ne s’en rend compte qu’une fois le livre refermé. J’ai ainsi réalisé avec stupéfaction que le premier chapitre, en apparence « hors sujet », peut être interprété comme un reflet inversé de l’avant dernier (qui contient la révélation finale) mais cela est fait d’une manière aussi détournée que géniale. Cette subtilité peut tout aussi bien passer inaperçue. J’aime les auteurs qui suscitent la réflexion chez leurs lecteurs, leur laissant le soin, ou non, de déceler certains indices ! 

Bref un très bon cru. Je sens que je ne vais pas m’arrêter là.

Et vous, avez-vous déjà lu une enquête du commissaire Brunetti ?

Bakhita

jEpjJ24kQuoi de mieux que d’exorciser les vieux démons de la rentrée – Tonnerre de Brest, avec l’entrée en petite section, Bambinette en a pris pour 20 ans ! – par une pépite de la rentrée littéraire ? Ceux qui connaissent ce blog doivent avoir remarqué que je suis immunisée par rapport aux sirènes des sorties littéraires, et notamment de ce phénomène bien français de la rentrée papivore. En France, nous aimons les marronniers et les feuilles qui tombent rituellement à l’automne ; nous devons être au fond un peuple épris de routine et de petites habitudes, nous qui aimons nous poser en révolutionnaires râleurs. Étant donné que je suis un peu d’ici et d’ailleurs, je n’ai jamais contracté cette habitude de courir les nouveautés ou les salons, ayant été biberonnée aux classiques et aux livres chinés en bibliothèque recelant l’odeur caractéristique du vieux papier jauni. /// Je fais une petite pause pour savourer ma madeleine de Proust, permettez...///

C’est bien mon entrée en blogosphère qui m’a convertie (un peu) à l’actualité du livre.
Bref, tout ça pour vous dire que si j’ai foncé droit sur le roman de Véronique Olmi, c’est bien parce que son sujet m’attirait fortement, et pas seulement parce que le livre était en tête de gondole. Bakhita, je connais, puisque c’est une sainte récemment canonisée par l’Eglise catholique. Sa légende dorée m’était vaguement familière, friande que je suis depuis mon enfance des vies de saints (ceux qui ont passé dans leur enfance des voyages en voiture entiers à écouter les cassettes audio de soeur Laure, dont la voix sirupeuse et magnétique exaltait les aventures de saint François d’Assise, saint Ignace de Loyola ou sainte Kateri Tekakwita – alias la Pocahontas chrétienne – me comprendront peut-être). Eh oui, être catho permet de connaître des personnages inconnus du grand public parfois. C’est un avantage comme un autre 😉.

Enfin, tout cela ne nous dit pas de quoi il est question dans ce livre, ni de qui est Bakhita, me direz-vous. Alors là, excusez-moi mais je vais devoir quitter mon ton léger et mondain pour aborder une tonalité beaucoup plus grave. Car voyez-vous, ce « roman vrai » de la vie de Bakhita m’a fait l’effet d’un coup de poignard dans le coeur. Peut-il en être autrement à la lecture de la vie de cette petite Soudanaise née à la fin du XIXe siècle, kidnappée de son village tranquille à l’âge de 7 ans, enlevée aux siens pour être vendue comme une bête à des marchands d’esclaves avides de chair fraîche ? Oui, la vie de Bakhita nous plonge dans la réalité inhumaine de l’esclavage. Oui l’esclavage a continué d’exister après l’abolition de la traite transatlantique. Et il cesse d’être cette sous-catégorie du programme d’histoire que les collégiens étudient en classe de 4e, qu’il est de bon ton de déplorer pour mieux nous conforter dans la morgue de notre supériorité progressiste. Il ne se réduit plus à des chiffres, des dates, des flèches sur une carte de l’Afrique et quelques grandes figures de la lutte anti-esclavagiste. Il prend un visage et une voix, ceux de Bakhita que Véronique Olmi a su capter miraculeusement, se fondant sur des archives trouvées dans le couvent où plus tard, bien plus tard, Bakhita a trouvé une forme de paix, en Italie… La vie de Bakhita nous fait croiser une foule de personnes réduites au rang de marchandises que l’on déplace avec une brutalité sans nom, que l’on abîme ou supprime pour des raisons atroces, pour ne pas les laisser au marchand concurrent par exemple ou pour le plaisir de dominer un être humain totalement à merci. Nous croisons des hommes, des femmes, des enfants, des bébés broyés dans l’engrenage mortel du trafic d’êtres humains. Des petits garçons que l’on castre pour en faire des eunuques, qui pourvoiront les harems (8 sur 10 meurent d’une telle « opération ») ; des petites filles que l’on viole ou « tatoue » en insérant du sel dans des plaies tracées au couteau. C’est vrai, c’est insoutenable, et j’ai dû sauter certains passages car j’ai plutôt l’âme sensible.

« Ce qui se passe après, le saccage, être battue dehors et dedans, elle le connaît déjà, c’est le gouffre sans fin, sans secours, c’est l’âme et le corps tenus et écrasés ensemble. Le crime dont on ne meurt pas. » (P. 127)

Mais au-dessus de ce cauchemar, il y a la grâce : cette petite Bakhita à qui on a volé jusqu’à sa langue maternelle et le prénom donné par son père. Une vie nue. Une petite fille qui parle plusieurs langues et dialectes (arabe, turc, vénitien entre autres) mais qui n’en maîtrise aucun, qui ne sait parler qu’au présent, ce qui colorera pour toujours son langage d’une naïveté enfantine. Il faut dire la force et la douceur de ce personnage que l’auteur a su faire revivre comme si elle avait eu une connexion mystique avec elle (j’ai l’air de m’emballer mais Véronique Olmi ne dit pas autre chose dans une interview que je n’arrive pas à retrouver).

« Elle comprend qu’elle a perdu sa langue maternelle. Son enfance se dérobe, comme si elle n’avait pas existé. Elle ne peut la nommer. Elle ne peut la décrire. » (P. 174)

Cette petite fille passée de maîtres en maîtres, tour à tour « jouet » des enfants d’une famille arabe, bête de somme d’une maisonnée turque impitoyable, domestique d’un consul italien humain mais détaché, jusqu’à échouer, au prix d’un incroyable concours de circonstances, en Italie, sa terre promise, a toujours su garder sa dignité profonde malgré les sévices, un regard pur, une âme d’enfant. Une rescapée de l’enfer. C’est incompréhensible. C’est grand. Cela fait espérer.

« La solitude. Bakhita n’est plus battue. Elle ne se couche pas dans la batisse des esclaves. Mais elle a, planté en elle comme un pieu, son besoin d’autre chose. Une autre lumière. Un peu de cet amour qu’elle a reçu chez Stefano et Clementina et qui, si dissemblable à son enfance, en avait pourtant la même musique. Elle garde les mains dans les poches de son tablier, alors qu’elle voudrait tendre les bras, généreusement, avec toute la force de sa jeunesse. Elle est entravée dans la nuit, alors qu’elle sait qu’une lumière existe, toute prpche, vers laquelle elle ne peut se tourner. Elle n’a jamaisoublié la voix de la consolation, la terre qui lui disait que ce n’était pas juste. Abda. Ça n’était pas juste et ça n’était pas sa faute. Alors, il doit y avoir autre chose pour elle. » (P. 244)

Bon l’histoire ne s’arrête pas avec l’arrivée de Bakhita dans un village vénitien, puisqu’elle devra passer successivement par : l’attachement maternel à la fille de sa maîtresse qu’elle a sauvé de la mort ; sa découverte de Jésus (crucifié comme les esclaves qu’elle a vus) dans un couvent de Venise ; le long chemin vers sa reconnaissance juridique en tant qu’individu libre ; son entrée en religion ; sa confrontation aux peurs que suscite sa peau d’ébène ; sa tendresse pour les petits orphelins qui lui sont confiés…
De chose « cassée » par l’esclavage, elle est redevenue femme (dont le vêtement joue beaucoup pour la réappropriation de son corps), puis « mère » de la petite Mimmina, puis « fille » de la madre Fabretti (des affections profondes qui mettent un baume sur les blessures béantes de l’esclavage mais auxquelles on va l’arracher), puis soeur « Moretta » (Mauresse, son surnom donné par les Italiens) dévouée à « el Paron » (« Le Patron » en dialecte vénitien, c’est-à-dire Dieu), puis sainte…

« … Madre Fabretti répète sans cesse : « Il t’aime. » Et elle pense que Madre Fabretti se trompe, Il ne voit pas tout. Il n’est pas tout le temps là. Et Il ne sait pas. Elle est une esclave, et personne. Aucun maître, même le meilleur, personne, jamais, n’aime son esclave. Et elle se dit qu’un jour, la Madre, d’une façon ou d’une autre, apprendra ce qu’est l’esclavage et ce jour-là, elle la punira pour avoir caché la monstrueuse existence qui a été la sienne. Une vie moins qu’une bête. Une vie qui se vole, une vie qui s’achète et s’échange, une vie qui s’abandonne dans le désert, une vie sans même savoir comment on s’appelle. » (P. 288)

On peut reprocher à Dieu d’avoir laissé l’esclavage exister (comme tout un tas d’horreurs jusqu’à aujourd’hui), et puis on peut s’émerveiller devant Bakhita, sans pouvoir mettre des mots sur tout ce qu’elle dépose en nous d’émotion. C’est la rédemption de tous les siens opprimés par un système bestial. Une lumière qui luit dans les ténèbres.
Véronique Olmi l’a captée pour nous avec des phrases courtes, répétées, entrecoupées de termes dialectals, qui forment un tempo binaire comme un rythme cardiaque fondamental. On est Bakhita et on perçoit ses peurs, sa souffrance (évidemment), mais aussi sa bonté indéracinable, son courage, sa ténacité, son espérance, sa soif d’aimer, son humilité, et je rajouterai aussi, son humour. Mais on n’est pas du tout dans la vie de saint style sulpicien, l’auteur n’occulte pas les violences y compris sexuelles, ni les réactions parfois peu charitables ou intéressées de ceux qui néanmoins, en Italie, lui ont apporté amour et liberté.

« … c’est le jour de son baptême… Mais y a-t-elle vraiment droit ? Elle est toujours une esclave. L’esclavage ne s’efface pas. Ça n’est pas une expérience. Ça n’appartient pas au passé. Mais si elle a le droit d’être aimée, alors ce jour qui vient est sa récompense. Elle a marché jusqu’à ce jour. Elle a marché des années. Marché jusqu’à el Paron. Pour ne plus jamais obéir à d’autres ordres, ne plus jamais se prosterner devant d’autres maîtres. » (P. 317)

Un livre rare et essentiel, pas toujours facile à lire on s’en doute, mais lumineux et marquant. (Les lecteurs du prix du roman Fnac ne s’y sont pas trompés). Un plaidoyer sans plaidoirie contre l’esclavage. Un maëlstrom d’humanité qui culmine autant dans les bassesses innommables que dans l’altruisme le plus sublime et le plus désarmant. Pfiouh.

« Bakhita » de Véronique Olmi, Albin Michel, 2017, 456 p., Prix du roman Fnac.

Marie, Lily et Mymy ont également aimé cette lecture.

Le nouveau nom

Je me suis enfin lancée dans la suite de L’amie prodigieuse, cette saga italienne à succès que j’avais tant aimé découvrir. Le livre patientait depuis des mois dans ma bibliothèque. Phénomène PAL. En juillet c’était le bon moment, sous le soleil, pendant des vacances en Italie justement. Malgré ma méconnaissance de la langue de Dante, l’environnement acoustique collait. J’ai plongé dedans et n’en suis sortie qu’à bout de souffle, la tête et le coeur aspirés par les personnages, leurs vies à la dure et le quartier napolitain où l’on avait suivi leur enfance dans le premier tome. Il m’a fallu deux jours de décompression pour commencer une nouvelle lecture. Preuve que ce roman n’a pas usurpé son statut de best-seller mondial, et cela me rend soudain très reconnaissante envers l’industrie du livre qui permet au plus grand nombre de s’autoriser de tels voyages !

On reprend l’histoire là où on l’avait laissée. Au printemps 1960, Lila, 16 ans, s’est mariée avec Stefano l’épicier enrichi. Son joli conte de fée s’achève le soir de la noce, quand elle comprend que son mari l’a trahie en s’alliant aux frères Solara qu’elle déteste. Sa vie conjugale devient un enfer, malgré le nouvel appartement doté d’un confort moderne inenvisageable dans son ancien quartier. Mais Lila, fidèle à sa réputation de rebelle, emploie sa vive intelligence à résister à sa nouvelle condition par tous les moyens. Lenú la narratrice poursuit une voie bien différente, plus obscure, celle des études au lycée où à force d’efforts méritoires elle se hisse à la première place, contredisant la fatalité de son milieu, où très rares sont ceux qui dépassent le primaire.

Ce deuxième tome intensifie la narration, se concentrant sur l’écheveau des relations du groupe d’amis qui accèdent à l’âge adulte et cherchent tous à se faire une place au soleil, quitte à empiéter sur celle des autres. L’insouciance de l’enfance est révolue. Elena Ferrante resserre le regard sur la problématique des oppositions entre classes sociales. Tel un Émile Zola italien, elle montre que même dans un quartier populaire, de subtiles différences délimitent ceux qui s’en sortent, par leurs mérites ou leurs magouilles, et ceux qui restent enfoncés dans la misère, pauvres veuves ou malchanceux, et dépendent des premiers pour manger. Il s’en faut parfois d’un cheveu pour basculer d’un niveau à l’autre, ce qui est une caractéristique de la pauvreté. Ferrante démonte les combines de chacun, la fierté à vif ou la folie engendrées par des rapports de force exacerbés. C’est un monde où tout le monde insulte tout le monde à grands cris, ses fournisseurs comme ses plus proches parents, et cela semble normal.

« Dans l’inégalité, il y avait quelque chose de beaucoup plus pervers, et maintenant je le savais. Quelque chose qui agissait en profondeur et allait chercher bien au-delà de l’argent. Ni la caisse des deux épiceries ni même celle de la fabrique ou du magasin de chaussures ne suffisaient à dissimuler notre origine. Et quand bien même Lila prendrait dans le tiroir-caisse encore plus d’argent qu’elle n’en prenait déjà, quand bien même elle en prendrait des millions, trente ou même cinquante, elle n’y arriverait toujours pas. Ça, moi je l’avais compris, et il y avait donc enfin quelque chose que je savais mieux qu’elle : je ne l’avais pas appris dans ces rues mais devant le lycée, en regardant la jeune fille qui venait chercher Nino. Elle nous était supérieure, comme ça, sans le vouloir. Et c’est ce qui était insupportable. » (p. 165)

Sous ses dehors sages, Lenú est le personnage le plus transgressif finalement : descendante d’une lignée « de paysans analphabètes », une fille qui plus est, elle ose se confronter aux tenants de la culture savante pour qui tous les attributs du savoir – et du savoir-vivre – sont naturels. Parler italien sans accent, savoir se comporter en société, c’est pour elle comme une langue étrangère à dominer – au sens littéral puisque sa langue maternelle est le dialecte napolitain – sans jamais espérer en saisir toutes les subtilités. Il y a de l’Annie Ernaux dans ce parcours de bonne élève, de transfuge de classe, honteuse de son milieu d’origine, mal à l’aise face à ses amis bourgeois, partout en décalage, téméraire malgré elle, désireuse d’être naturalisée dans une forme de patrie intellectuelle qui seule ne regarde pas ses origines. Son personnage s’aiguise dans ce tome, fait preuve de plus de volonté propre, d’autonomie, malgré ses fragilités identitaires qui la rendent plus accessible que Lila.

« Oui, c’est comme ça, j’ai trop peur, et c’est pourquoi je souhaite qu’on en finisse au plus vite et que les êtres peuplant mes cauchemars viennent dévorer mon âme. » (p. 383)

Mais on ne peut concevoir Lenú sans Lila, et inversement. Les deux amies se « cannibalisent » symboliquement, chacune se nourrissant de ce que l’autre a de plus cher pour se tailler sa place dans un monde où les femmes comptent pour quantité négligeable et sont asservies à leurs hommes. Lila, devenue Mme Carraci, son « nouveau nom » qui l’emprisonne, se convertit en l’incarnation de la condition féminine dans un milieu populaire du Naples des années soixante. Il est significatif que le récit s’attache beaucoup plus à décrire son corps dans ce tome que ses prouesses intellectuelles, bien qu’à plusieurs occasions celles-ci affleurent et nous rappellent la multiplicité prodigieuse de ses dons. Elle est toujours autant fascinante, aux yeux de Lenú comme des nôtres ! Mais tout chez Lila est voué à un éternel cycle de création/destruction. Comme le Vésuve aperçu de sa cuisine, la jeune épouse condense la colère antique des femmes de son quartier pour la recracher contre son entourage oppresseur à divers degrés. Ce qui n’empêche pas les autres femmes de la détester cordialement, y compris Lenú parfois. Elle est trop « méchante » pour une femme, ne respecte aucune règle et n’en fait qu’à sa tête.

« … depuis l’enfance, nous avions vu nos pères frapper nos mères. Nous avions grandi en pensant qu’un étranger ne devait pas même nous effleurer, alors qu’un parent, un fiancé ou un mari pouvaient nous donner des claques quand ils le voulaient, par amour, pour nous éduquer ou nous rééduquer. » (p. 67)

*** Ouverture d’une parenthèse spoil *** Le nouveau nom, c’est peut-être aussi celui qui est imprimé sur la couverture du roman écrit par Lenú, qui transcende le nom de la fille de l’humble portier de mairie. Symétriquement, elle accède à la fin du récit à la reconnaissance mondaine tandis que Lila dégringole l’échelle sociale. *** Fermeture de la parenthèse spoil ***

« Oui, c’est Lila qui rend l’écriture difficile. Ma vie me pousse à imaginer ce qu’aurait été la sienne si mon sort lui était revenu, à me demander ce qu’elle aurait fait si elle avait eu ma chance. Et sa vie surgit constamment dans la mienne… » (p. 446)

Politiquement, le système est dominé par la rivalité entre communistes et démocrates-chrétiens, avec les socialistes au milieu ; dans la rue les jeunes communistes et les jeunes fascistes se font le coup de poing tandis que les étudiants gauchistes parlent Révolution, Planification, ouverture au centre. Mais aucun de ces mots ou de ces actes ne semblent avoir une quelconque incidence sur la vie du quartier de Lila et Lenú. Ce sont deux mondes qui se côtoient et se mêlent très peu, malgré la militance communiste de Pasquale ou les efforts de Lenú pour avoir l’air dans le coup face à Nino, son « crush » de toujours. À la fin du deuxième tome, nous avons atteint la veille du mai 68 italien, le calme avant la tempête.

Et puis il y a cette parenthèse enchantée au milieu du récit, l’été à Ischia. Les deux amies y passent des vacances pour des raisons toutes sauf légères. Et pourtant on bascule dans un moment hors du temps, solaire, très dolce vita, où l’amour et la jeunesse tressent des couronnes de fleurs sur le front d’une passion aussi surprenante que dérangeante. Fougue, arrangements secrets et déchirements sont de la partie et nous mettent des papillons dans le ventre à nous aussi ! (Oui je parle au nom de tous les lecteurs).

« C’est seulement dans la perspective d’un amour irréalisable que le baiser qu’il lui avait donné dans la mer commença à sortir de l’indicible.  » (p. 314)

Alors certes, les heurs et malheurs (surtout ces derniers) des personnages ont parfois mis mes nerfs à rude épreuve, certes la narration a une luxuriance quasi suffocante, et certes il y a des défauts de traduction, mais vous l’aurez compris, cette lecture est un coup de coeur magistral, et je ne sais ce qui me retient de filer fissa mettre la main sur le troisième tome, si ce n’est le désir de faire durer le plaisir de cette saga magnifique (et magnétique, comme me le suggère le traducteur de ma tablette, qui pour une fois n’est pas à côté de la plaque !)

« Le nouveau nom » d’Elena Ferrante, traduit de l’italien par Elsa Damien, Folio Gallimard, 2016, 623 p.

Elena Ferrante, L’amie prodigieuse

« Lila va trop loin, comme d’habitude, ai-je pensé. Elle élargissait outre mesure le concept de trace. Non seulement elle voulait disparaître elle-même, maintenant, à soixante-six ans, mais elle voulait aussi effacer toute la vie qu’elle laissait derrière elle. Je me suis sentie pleine de colère. Voyons qui l’emporte cette fois, me suis-je dit. J’ai allumé mon ordinateur et ai commencé à écrire notre histoire dans ses moindres détails, tout ce qui me restait en mémoire. » (p. 22)

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Ô prodige… Le rendez-vous du blogoclub sur le thème de l’amitié tombait aujourd’hui et… j’ai lu les dernières pages de ce livre définitivement génial ce matin, je ne pouvais donc rationnellement pas ne pas venir vous faire un petit compte-rendu tout frais pondu, garanti sans OGM, sans conservateurs, ici-même chez Ellettres, ce recoin d’internet délaissé depuis un bon mois. (Que je vous dise, ce n’est pas par manque de motivation que je n’écris plus de billet, c’est par manque de temps, incroyable non ?) 😀

Cela servira-t-il à quelqu’un que je résume le premier tome de la fameuse saga napolitaine d’Elena Ferrante, quand bon nombre de mes collègues l’ont fait avant moi avec talent (au hasard Florence et Lili) ? Allez, je m’y colle rapido, au cas où l’un d’entre vous serait sorti de sa grotte n’en aurait pas entendu parler : « l’amie prodigieuse », c’est l’autre, c’est Lila Cerullo, la meilleure amie de Lenù (Elena…) Greco, la narratrice. Telles des Tom Sawyer et Huckleberry Finn féminins, elles arpentent leur bout de quartier napolitain des années 1950, jouent à se faire peur, se lancent des défis, confrontent la violence inhérente à leur milieu marqué par la pauvreté : la violence des pères et des maris, des mères, des fiancés jaloux, des garçons et filles dès le plus jeune âge, et celle qui est plus cachée : celle du conflit entre classes sociales, celle de la sinistre Camorra qui fait sentir ses rets de façon subreptice sur les commerces du quartier, et celle qui prend sa source dans des conflits inter-familiaux liés à la Seconde Guerre mondiale, « l’avant » que les deux amies n’ont pas connu et qui fascine Lila.

Pour conjurer le mauvais sort, Lila et Lenù se racontent d’interminables histoires et rêvent de devenir riches en les publiant, comme l’auteur des « Quatre filles du docteur March ». Lila impressionne la gentille Lenù par la vivacité de son intelligence, sa « méchanceté » qui couve comme le Vésuve et son courage sans faille. Son monde tourne désormais autour de son amie, et tout ce qu’elle fait de beau (ses bonnes notes, son entrée au collège, puis au lycée), elle le fait pour et par rapport à Lila. Lila quant à elle n’est pas autorisée à poursuivre sa scolarité bien qu’elle soit très douée. De rage elle se débat pour sortir du carcan qui l’emprisonne, en apprenant latin et grec toute seule et en poussant son frère et son père cordonniers à produire de magnifiques chaussures. De psychodrames en « réalisme social » italien mêlant rire, tendresse et cruauté, on suit les deux amies jusqu’à l’adolescence et… allez je n’en dirai pas plus.

On ne va pas tourner autour du pot : ce livre est une incroyable fresque de la vie d’un quartier qui entre dans les trente glorieuses italiennes. On croirait entendre les réparties que se lancent les mammas italiennes d’une fenêtre à l’autre tout en étendant leur linge 10 mètres au-dessus de la rue. Les Fiat et les Lambrettas commencent à sillonner le quartier. Les garçons aguichent les filles qui se gardent bien de leur répondre de peur de susciter les représailles de leurs pères ou frères et de démarrer des cycles de vengeance à n’en plus finir. Les adultes s’insultent à mots couverts (ou pas) : communiste ! nazi-fasciste ! Ils peinent bien souvent à joindre les deux bouts, et certains doivent tout au parrain du quartier. Pour vous dire, tout le temps de ma lecture je voyais des images de Naples en noir et blanc !

Dans cette pagaille, le talent proprement unique de Lila phosphore comme une étoile dure tombée dans la boue. Son personnage, surtout enfantin, est inoubliable. Mais à mesure que les deux filles grandissent, c’est Lenù, je trouve, qui devient plus intéressante : par son entrée au lycée elle entre dans un nouveau monde dont elle ne connaît encore rien. Bien que celui-ci ne soit en fait que la petite bourgeoisie, c’est déjà une avancée par rapport à son quartier. Elle voit la mer enfin (!), part pour la première fois en vacances à Ischia, découvre les jeunes des beaux quartiers. Elle acquiert progressivement sa voix propre, une furieuse envie d’exister vis-à-vis du monde (et de se sentir ainsi l’égale de Lila). Comme Lila, elle emploie les moyens à sa disposition pour fuir son milieu d’origine.

Un duo d’amie très attachant, plein d’ambivalences dans le genre « je t’aime, moi non plus », qui nous ouvre sur tout un monde d’hier, ses tares, ses faiblesses, mais aussi ses générosités, ses drôleries. Un monde tiraillé entre ses réflexes archaïques (son patriarcat exacerbé, ses jalousies) et son désir de se hisser dans la modernité. Une histoire inoubliable, parfois presque trop touffue, qui « m’colle au cœur et au corps » comme aurait dit Voulzy.

Merci au blogoclub qui a fait remonter ce livre de ma PAL, il était temps que je me mette à l’heure d’Elena Ferrante.

Les billets de : Sylire, Lecturissime, Titine, Zarline, ClaudiaLucia, Christelle

PS : La photo de couverture de l’édition française est très bien choisie, en particulier la
petite fille de gauche a les traits que j’imagine être ceux de Lila.A46612_L_amie_prodigieuse.indd

« L’amie prodigieuse » d’Elena Ferrante, traduit de l’italien par Elsa Damien, Gallimard, 2014, 430 p.

photo-libre-plan-orsec-2Participation au Plan Orsec pour le mois de novembre.

Journal de lecture : La chartreuse de Parme

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« Le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi, et d’apprendre au monde qu’après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur. »

C’est par cet incipit plein de panache que commence La Chartreuse, et nous savons dès lors que la narration de Stendhal va adopter le rythme entraînant des victoires napoléoniennes et chanter les louanges de la bravoure, la jeunesse et la beauté. Ce sont en effet toutes les valeurs de l’auteur que porte ce grand roman classique : amour, gloire et beauté, mais aussi une certaine idée du bonheur en Italie.

Rendue à la page 200 très exactement (sur les 534 que compte mon édition poche), je vais tenter de résumer l’histoire pleine de tours et de détours que prend le roman jusque là, ce qui n’est pas une mince affaire :

En 1796, la Lombardie décrite par Stendhal ressemble à une femme sensuelle, longtemps assoupie dans la pesanteur de l’administration autrichienne, qu’un jeune amant fougueux aurait brutalement réveillée. Les victoires napoléoniennes et amoureuses sont en effet entrelacées et Stendhal prend clairement parti pour les Français et le peuple italien en plein « réveil », contre les notables réactionnaires symbolisés par le ridicule et engoncé marquis del Dongo.

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Ça m’a fait penser à ce tableau de Fragonard, un peintre que j’aime beaucoup, et qui était à l’honneur de l’exposition « Fragonard amoureux » récemment au Palais du Luxembourg.

C’est dans ce contexte de ferveur patriotique et de communion autour de la joie et la liberté (Stendhal aura pris soin d’embellir l’occupation française, qui a l’air de n’être qu’une longue fête du début jusqu’à la fin) que naît le fils cadet du marquis del Dongo, notre héros, Fabriiiiice (OK, je m’égare !). S’il n’a pas l’estime de son père, il jouit en revanche des faveurs de la nature (il est beau et brave contrairement à son frère aîné Ascagne qui est le portrait de son père – ce qui laisse d’ailleurs présumer une naissance illégitime de Fabrice probablement liée aux relations chaleureuses entretenues par la marquise del Dongo avec un officier français, le lieutenant Robert, au début de l’occupation) (ce n’est pas moi qui le dit, c’est Pierre-Louis Rey, le commentateur du texte). Il est donc le chouchou des dames de la maisonnée – sa mère, sa tante, ses sœurs – une maisonnée qui gîte entre Milan et la rive magnifique du lac de Côme (passages extatiques de Stendhal sur cet endroit pour qui c’est le plus beau du monde).

Les choses se corsent, si l’on peut dire, lorsque Fabrice, à l’âge tendre de 16 ans, part à la rescousse du Corse revenu de l’île d’Elbe et confronté à toute l’Europe sur le champ de bataille de Waterloo. Sacrilège pour papa del Dongo et son fils aîné ! Geste admirable pour toute la gent féminine qui prend le parti exactement inverse du prétendu chef de la maisonnée ! Stendhal montre décidément beaucoup de sympathie pour les dames, qu’il semble considérer comme plus libérales que leurs compagnons.

Bon, il faut le savoir, tout le chapitre sur les aventures de Fabrice à Waterloo est devenu cultissime – du moins à l’échelle des amateurs de Stendhal – car il a marqué l’histoire littéraire : pour la première fois un romancier décrivait la guerre « au ras des pâquerettes » en adoptant le point de vue d’un simple soldat, presque un quidam, qui ne comprend rien aux mouvements des armées et qui s’effraie de l’aspect particulièrement rebutant des cadavres jonchant le champ de bataille. Bienvenue dans la guerre moderne. Mais je dois dire que ce passage m’a aussi souvent fait rire car Stendhal ne se prive pas de souligner la naïveté du jeune Fabrice qui part bille en tête, persuadé qu’il va directement servir l’empereur (en fait il ne le voit même pas) et qui se fait emprisonner par des gendarmes français qui le prennent pour un traître, vu son fâcheux accent italien. Il se fait sans arrêt voler son cheval par des hussards ou autres dragons, voire par un général aux trousses duquel il se met à courir en criant « au voleur ! », ce qui est totalement bouffon, mais il dispose heureusement de l’aide d’une généreuse cantinière (encore une fois, honneur aux dames).

Fabrice arrive à sortir de ce bourbier sans avoir combattu (si, il a quand même abattu « son » Prussien comme s’il était à la chasse sur ses terres) mais son retour à la maison se révèle plus compliqué que prévu : parti sous un faux nom, son départ a quand même été dénoncé aux autorités autrichiennes qui ont repris le contrôle du nord de l’Italie, et son père le désavoue. Clandestinement, son pool de soutien féminin familial le fait « exfiltrer », et voilà notre Fabrice parti faire des études ecclésiastiques à Naples. Ah oui, parce qu’il faut dire qu’entre temps, sa jeune tante Gina, qui l’aime tellement, est devenue veuve (son mari, le comte de Pietranera a été assassiné au retour des Autrichiens car il était pro-français). Quel est le rapport ? Eh bien, pauvre mais très considérée dans la haute société milanaise, d’autant qu’elle est très belle, elle se fait courtiser par de très beaux partis, qu’elle rejette dédaigneusement. Mais arrive le comte Mosca, le super-ministre de la minuscule cour de Parme (ou règne une sorte d’Ubu roi absolutiste) et voici que ce dernier parvient à conquérir la belle. Sauf qu’il ne peut l’épouser car il est déjà marié. Qu’à cela ne tienne, il s’arrange avec le vieux duc de Sanseverina, riche à millions, qui accepte d’épouser Gina tout en la laissant entièrement libre de ses faits et gestes (un bon deal, et fort pratique pour l’histoire qui va suivre).

Bref, nous arrivons enfin à Parme, ce qui justifie la 2e partie du titre du roman. Gina est devenue « la » Sanseverina, et la coqueluche de la cour de Parme même si elle y a quelques ennemis (bizarrement, le clan « libéral »). Elle obtient pour Fabrice une bonne carrière ecclésiastique et la promesse de succéder un jour au vieil archevêque de la ville. Ça ne plaît que moyennement à notre Fabrice de 20 ans, ivre de conquêtes, mais bon, il n’a pas tellement le choix, dans sa condition de persona non grata à Milan. Le hic, c’est que ce vieux beau de comte Mosca, valet de cœur de la Sanseverina mais tout puissant premier ministre, se rend compte que les sentiments de sa maîtresse pour son neveu se font de plus en plus tendre, et il devient… jaloux ! Ouh c’est vilain. Je laisse peser le suspense de savoir s’il arrive à retenir sa fureur ou pas…

Voilà pour l’instant. Je crois que mon résumé donne l’impression d’un vrai feuilleton. Et il y a un peu de ça en effet : il y a d’un côté les « beautiful people » qui malgré les déboires s’en sortent toujours, de l’autre les méchants, les traîtres, il y a le vieux sage (l’abbé Blanés) et puis les faire-valoir… Les relations se nouent et se dénouent, semblent évoluer rapidement. On n’est pas du tout dans le roman bourgeois naturaliste. Pas tellement non plus dans le roman romantique, car il y a ce zeste d’ironie stendhalienne qui se distancie de tout moment de ferveur trop appuyé.

Les personnages sont peu décrits physiquement et leur portrait psychologique m’échappe en partie. Par exemple, je ne sais trop quoi penser du comte Mosca. On dirait que Stendhal a voulu, à travers lui, tenir ensemble des aspects contradictoires pour les besoins de son histoire : à la fois premier ministre appliquant rigoureusement la loi despotique d’un roi paranoïaque (ce qui explique la position proéminente tenue par sa maîtresse à la cour et toutes les intrigues qui s’ensuivent, mais permet aussi à Stendhal de fustiger l’absolutisme qu’il abhorre mais semble aussi le fasciner), Mosca a néanmoins un esprit libéral (!) et désabusé, prêt à tout laisser tomber pour passer une retraite dorée avec l’amour de sa vie (afin de rendre un minimum crédible sa liaison avec la jeune, belle et libérale Gina). J’ai un peu du mal à croire à son personnage, je l’avoue. Je ne connais pas grand chose à l’histoire littéraire mais j’ai l’impression que Stendhal est encore un peu un homme du XVIIIe siècle, adepte de la mentalité de cour et de ses intrigues, du jeu des titres et des positions, dont les ressorts nous semblent un peu vains, à nous hommes et femmes du XXIe siècle (qui avons aussi notre lot de vanités mondaines.

J’aime me plonger dans ce classique car la langue est pure, les anecdotes piquantes, les sentiments délicats et les aperçus de l’Italie de l’époque, directement issus des souvenirs de Stendhal, sont savoureux. J’aime aussi le fait que la lecture de la Chartreuse ait donné envie à Proust de visiter Parme (ce qu’il n’a jamais fait) car il trouvait que le nom de Parme était « lisse, compact, mauve et doux ». Mais j’avoue que je décroche un peu de l’histoire par moments, notamment pour tout ce qui a trait aux mille et un aléas de la vie de cour. Je n’arrive pas non plus à saisir tout le sens de la cour utilitaire que Fabrice fait à certaines femmes, même si je comprends qu’il s’agit, pour l’une d’entre elle, de faire dévier la jalousie de Mosca, qui le croit prêt à outrepasser la barrière des bonnes mœurs avec sa tante. Pourtant notre Fabrice n’a pas encore connu le grand amour, même s’il aime beaucoup sa tante, et il se croit imperméable à la passion… mais je crois que ça va changer lorsque les choses se compliqueront pour lui à Parme… Donc j’ai hâte qu’il soit emprisonné (oui je m’avance un peu sur la suite) et qu’il sorte de l’hypocrisie de la cour dans tous les sens du terme.

RDV le mois prochain pour la suite !

« La chartreuse de Parme » de Stendhal, Pocket Classiques, édition présentée et commentée par Pierre-Louis Rey, 1998, 570 p.

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