Elégie pour un Américain, de Siri Hustvedt

J’étais désireuse de lire un autre roman de Siri Hustvedt, après Un été sans les hommes qui m’avait tellement plu, histoire de confirmer mon goût pour cette auteure. C’est donc avec une certaine curiosité mêlée d’appréhension que j’ai commencé cette lecture.

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Verdict ? Elle m’a au départ complètement embarquée dans l’intimité d’Erik Davidsen, ce psychanalyste new-yorkais dont le père vient de mourir. C’est l’occasion pour lui et sa soeur Inga (veuve d’un écrivain célèbre) de replonger dans le passé de leur père, documenté par des extraits du journal du défunt. Fils d’immigrés norvégiens, grandi dans une ferme très pauvre du Minnesota, combattant de la Seconde Guerre mondiale, devenu à force de travail et de volonté un respectable professeur d’histoire à l’université, Lars Davidsen cachait un secret que ses enfants souhaitent à présent élucider. Dans le même temps, Erik accueille chez lui une nouvelle locataire affriolante et sa fillette de 5 ans, que menace l’ombre d’un ex-compagnon, photographe déséquilibré et vrai « stalker ». Ses patients lui prennent beaucoup d’énergie et d’espace mental. Quant à Inga, elle se débat avec ses propres ombres, dont le souvenir d’un mari adoré – pas que par elle -, et le traumatisme du 11 septembre 2001 qu’elle et sa fille ont vécu de tout près.

Avec finesse, Siri Hustvedt tisse la chronique douce-amère d’un homme entre deux âges, divorcé et sans enfants, à qui la mort de son père fait remonter des souvenirs anciens qui vont se mêler de façon énigmatique à la série d’événements plus ou moins désagréables qui lui tombent dessus. Comme dans Un été sans les hommes, mais de façon plus prégnante, nous sommes enserrés dans un réseau de considérations et théories psychologiques portées par des personnages, réels ou fictionnels. On y croise une tripotée de psychiatres, historiens de la médecine, neurologues, psychanalystes, et même neuro-psychanalystes (donc si le sujet vous emm****, il vaut mieux passer votre chemin). Comme l’indique la rituelle page de remerciements à la fin, l’auteure participe à de nombreux séminaires consacrés au sujet et anime des ateliers à destination de malades psychiques. Elle connaît donc bien son sujet et certaines anecdotes sont visiblement tirées de sa propre expérience ou de celle de collègues thérapeutes. La mise en scène de la confrontation praticien/patient dans les séances de thérapie d’Erik est à ce titre fascinante car on y assiste du point de vue du psychanalyste, dont on voit que l’inconscient est complètement perméable à celui du psychanalysé.

Ce qui rend également un son de vérité, ce sont les extraits du journal de guerre de Lars Davidsen. Je me demandais comment l’auteure avait pu se glisser à ce point dans la peau d’un jeune combattant américain de la Seconde Guerre mondiale. La page de remerciements, toujours, m’a appris qu’elle avait carrément inséré des extraits du journal de son propre père (lui aussi fils d’immigrés norvégiens), avec son autorisation et après sa mort.

C’est pourquoi ce roman dégage une tonalité effectivement élégiaque. Je ne sais jusqu’à quel point Siri Hustvedt l’a écrit en mémoire de son père et de sa famille, en mémoire des immigrés pauvres du début du 20e siècle, en mémoire des morts de la Seconde Guerre mondiale, du 11 septembre et des futurs morts de la Guerre d’Irak qui débutait. Ce roman fait-il partie d’un travail de deuil personnel (avec une visée collective que désigne l' »Américain » du titre) ? Ce n’est pas vraiment important pour le lecteur de le savoir, mais toujours est-il que ce récit m’a un peu larguée en route. Les personnages principaux, notamment Erik, m’ont semblé plats, éteints, voire un peu « morts ». Ils ont peine à prendre de l’épaisseur, malgré la richesse de leur histoire personnelle, comme s’ils étaient des masques plaqués sur des faits réels. Au milieu du livre, je m’ennuyais gentiment et j’avais du mal à retenir les noms des proches de la famille Davidsen et ce qui les reliait (rappelons qu’Erik et Inga procèdent à une sorte d’enquête principale, à laquelle se mêlent des enquêtes secondaires concernant leurs vies privées). Les conversations feutrées entre représentants de la classe intellectuelle supérieure n’arrivaient plus à m’émouvoir, malgré les sentiments violents des personnages.

Ce qui m’a retenu, c’est tout de même une grande qualité d’écriture, fluide, intime, chaleureuse – en gros tout ce qui me plaisait déjà chez elle. L’auteure m’emporte malgré moi dans les arcanes de ses personnages et de ses dadas (psychologie donc, mais aussi philosophie, linguistique, questions identitaires). Je suis donc partagée : ce n’est pas le coup de coeur vécu quand je l’ai découverte avec Un été sans les hommes, mais ce n’est pas un ratage non plus. Un entre-deux tout en camaïeu de gris domine dans ce roman à entrées multiples (l’illustration de couverture est à ce titre très bien trouvée), ce qui ne m’empêchera pas de récidiver avec mon amie Siri !

« Elégie pour un Américain » de Siri Hustvedt, traduit de l’anglais par Christine Le Boeuf, Actes Sud, 2008, 393 p.

Cristallisation secrète, de Yôko Ogawa

41ThwOV7f7LLa narratrice vit sur une île frappée d’une étrange malédiction. Régulièrement, une chose anodine est condamnée à disparaître, non seulement du monde physique mais aussi de la mémoire des habitants. Ainsi en est-il allé du parfum, des timbres-poste, des calendriers, des photographies, des bateaux… Au cours du récit, les disparitions touchent des choses de plus en plus vitales. Personne ne s’en émeut mais tous vivent dans la crainte de la police secrète, une terrible force répressive qui traque les êtres exceptionnels échappant à la malédiction de l’oubli : ceux qui parviennent à se souvenir des choses disparues et à conserver le sens et les émotions qui leur étaient liées.

Dans ma lecture de Cristallisation secrète, il y a dû avoir une « cristallisation » qui ne s’est pas faite, et cette fable dystopique a emporté son secret dans la tombe de ses pages.

Rassurez-vous, j’ai bien compris la portée éventuellement politique de son propos : les autodafés de livres et la police secrète renvoient tout de suite à l’imagerie fantasmagorique des régimes totalitaires. Plus subtilement, l’anéantissement de certains objets ou êtres fait penser aux fantômes peuplant les cimetières de l’histoire : qui saurait se resservir d’une cassette VHS aujourd’hui par exemple ? et si Lewis Carroll, et surtout Disney, n’avaient pas ressuscité le fameux Dodo, qui s’en souviendrait aujourd’hui, à part quelques spécialistes d’histoire naturelle ? N’y aurait-il pas là une allusion à notre déni de certaines réalités dérangeantes, à notre culpabilité inconsciente ?

« Quand j’ai sous les yeux des objets disparus, mon coeur s’agite énormément. Comme si quelque chose de dur et épineux était lancé soudain au milieu d’un paisible marais. Il se forme des rides, un tourbillon se crée au fond et la boue remonte. C’est pourquoi nous sommes bien obligés de brûler les objets, de les jeter à la rivière ou de les enterrer, afin de les éloigner le plus possible de nous. »

Ce qui m’a déstabilisée je crois, dans ce roman, c’est sa neutralité poussée à l’extrême. L’écriture est « blanche », très simple, sans fioritures. Les dialogues entre les personnages sont strictement banals. Les personnages eux-mêmes sont rarement nommés et ne montrent que très peu d’affects. Pour vous donner un exemple, alors que la narratrice et son ami le « grand-père » viennent d’échapper à une terrible catastrophe qui aurait pu causer leur mort, la seule chose qu’ils trouvent à se dire c’est : « Oh ben mince, le cake que nous nous apprêtions à manger va être perdu ». Ça va les gars, vous ne risquez pas de nous faire de l’hypertension au  moins !

Les disparitions ne les touchent pas, ils s’y résignent passivement et, sauf exceptions, ne regrettent rien ; et bien que certains contreviennent aux ordres du régime, ils ne cherchent à aucun moment à s’insurger contre son absurde répression. Du coup, j’ai eu du mal à voir où l’auteur voulait en venir avec sa fable.

Après en avoir parlé avec Lili qui m’avait offert ce livre, nous en avons conclu qu’il s’agissait là peut-être d’un certain état d’esprit japonais (sans vouloir non plus tomber dans le bas étage du cliché, et donc avec toutes les limites que comporte une généralisation hâtive) : ce côté zen qui apprend à ne pas souffrir des désagréments petits ou grands, cette forme de soumission au pouvoir. Et que cela heurtait notre mentalité occidentale habituée à râler réclamer des droits individuels et des libertés. J’ai fait le parallèle avec L’aveuglement de José Saramago, livre lu il y a bien longtemps et dont je ne me rappelle que vaguement, mais où les personnages s’interrogeaient beaucoup plus sur les raisons et les conséquences de leur perte du sens de la vue.

Ceci explique peut-être pourquoi, après avoir lu les trois quarts du bouquin au mois de mai, j’ai ressenti le besoin « vital » d’aller m’ébattre vers d’autres contrées livresques avant de revenir finir le bouquin en ce mois de septembre (après tout, l’automne aussi est le symbole de la perte : chute des feuilles et tutti quanti !)

« La disparition des calendriers signifie que l’on ne peut pas déchirer de feuille à la fin du mois. C’est-à-dire que l’on peut toujours attendre, il n’y aura plus de nouveau mois pour nous. Le printemps ne viendra pas, vous savez. »

Ce livre m’a tout de même fascinée à certains égards : ses images poétiques, son rythme lent, ses thèmes crépusculaires et ambigus agissent peut-être de façon sous-jacente, ce qui fait que je ne l’ai pas laissé tomber au bout de 20 pages.

Je vous conseille le très beau billet de Lili sur ce livre qui approfondit la réflexion sur l’existence quotidienne en régime totalitaire.

Et pour filer le thème insulaire, l’inoubliable Laurent Voulzy qui chante « ce sentiment de solitude et d’isolement » :

« Cristallisation secrète » de Yôko Ogawa, traduit du japonais par Rose-Marie Makino, Babel, 2009, 374 p.

Lignes de failles, de Nancy Huston

lignes-de.gifIl y a des psychiatres qui se sont intéressés aux liens transgénérationnels : le fait que l’on porte bien souvent le poids des de nos aïeux sur nos propres épaules, sans toujours en être conscient (à ce propos lire Aïe mes aïeux, de Géraldine Fabre, c’est très instructif).

Nancy Huston en a fait le principe de son singulier roman. Quatre chapitres : quatre voix, celles de Sol, Randall, Sadie et Kristina. Chacun est le parent du précédent et narre son présent d’enfant de six ans. Sol, en 2004, est un petit garçon californien surprotégé par sa mère adepte de psychologie positive et veillé de loin par son père travaillant dans l’industrie de l’armement. Randall en 1982, vit à New-York entre son « père au foyer » dramaturge et sa mère chercheuse et globe-trotter, obsédée par la quête de ses racines familiales qu’elle confond avec le « mal », ce qui les amènent à s’installer à Haïfa en Israël. Sadie en 1962 vit tristement à Toronto entre des grands-parents rigides et ne revit que lorsque sa mère, chanteuse bohème, vient la voir et l’emmène avec elle. Kristina en 1944 vit en Allemagne avec ses parents, ses grands-parents et sa soeur aînée ; malgré la guerre, elle sait vivre l’instant avec passion et ne se doute pas des bouleversements à venir dans la part la plus intime d’elle-même, son identité.

Un secret empoisonné, presque un péché originel, couvre l’arbre généalogique de son ombre, de l’arrière-grand-mère à l’arrière-petit-fils. Il détermine les brusques embardées du destin des uns et des autres, entre Allemagne, Israël et Amérique du nord. Il explique peut-être aussi la fascination-répulsion des uns pour le sang, la guerre, la domination de soi ou des autres, ou au contraire la fuite en avant des autres, l’oubli volontaire. Les générations avancent par contrecoups, se blessant aux erreurs des générations précédentes, et inversent le mouvement du balancier. Les sauts à rebours du temps, de 2004 à 1944, permettent très graphiquement d’en rendre compte, tout comme la transmission d’une tâche de naissance de l’un à l’autre.

Pour prendre un exemple parmi d’autres, on comprend que Randall a souffert d’une mère à la fois peu attentive et très exigeante, et l’on en déduit la raison pour laquelle il a épousé la femme au foyer modèle, pleine de bons sentiments, laquelle, aveuglée par le prêt-à-penser éducatif, ne s’aperçoit pas qu’elle fait de leur fils Sol un monstre. En remontant dans le temps, l’enfance de Sadie, la mère de Randall nous informe sur la femme qu’elle est devenue : née d’une mère adolescente et de père inconnu, victime d’une éducation puritaine, elle a dû fournir de gros efforts pour surmonter cette première blessure et exorciser sa honte. C’est elle qui va enquêter sur le « péché originel » de la famille et mettre en route une série de retours sur le passé plus ou moins maîtrisés.

Sol, le narrateur du premier chapitre, est un cas d’école des dangers (encore peu connus en 2004 ?) de l’accès non-encadré des enfants à Internet. Je n’en dis pas plus, ce chapitre glaçant parle de lui-même. 

A la fin du livre on se demande : les horreurs vues et vécues par Kristina au cours de la fin de la Seconde Guerre mondiale ont-elles servi de leçon aux générations suivantes ? Ne retombent-elles pas, chacune selon leur moment historique, selon leurs guerres, dans les mêmes ornières, dans une barbarie aussi ancienne qu’elle apparaît sous des oripeaux nouveaux ? Ce roman est à la fois un cri de dénonciation et une ode à la force de la vie qui se fraie un chemin dans les décombres. Les blancs narratifs permettent d’intercaler toute une part de non-dit dans la croissance des personnages, ce qui invite à penser leur liberté de personnes dotées d’un libre-arbitre malgré le poids du transgénérationnel. Le choix de faire parler des enfants de six ans peut être questionné (c’est un bien jeune âge pour leur faire aborder une série de considérations existentielles) mais il est intéressant en ce qu’un enfant de cet âge se conforme à la fois à la parole des adultes qui ont autorité sur lui, captant le monde à travers leur prisme, mais cherche aussi à lever le voile du mystère… à sa façon.

J’ai apprécié le procédé de conter l’histoire d’une lignée « à l’envers ». L’intrigue est bien construite, bien renseignée, bien écrite, rien à dire. Justement : les mots de cette chronique me viennent aussi mécaniquement que ceux d’une annonce immobilière. Je n’ai pas été si touchée que ça par les destins racontés, comme s’ils l’étaient par des androïdes, et non par des êtres de chair. Nous avons affaire à un roman reposant sur des idées tout-à-fait passionnantes. Plaquées sur des personnages, elles peinent à trouver vie. L’ensemble pourtant se dévore vite fait bien fait : envie de comprendre certains mystères (pourquoi Sadie est en fauteuil roulant, pourquoi certains jouets prennent-ils une si grande importance, pourquoi Erra chante sans paroles, pourquoi Randall est-il aussi agressif contre les Irakiens, etc).

La morale de l’histoire c’est qu’il est important, vital même, de parler à son enfant avec des mots justes, de ce qui l’engage directement, y compris dans son histoire familiale, tout en veillant à ce qu’il ne tombe pas dans la gougueule du loup.

Un avis mitigé donc, pour un roman qui vaut quand même le coup d’être découvert.

Les avis de Lili Galipette (mitigé), LillyKeisha et Anne (enthousiastes).

« Lignes de faille » de Nancy Huston, Babel, Actes Sud, 2006, 486 p. 

Prix Femina 2006.

Pêle-mêle, les lectures de Noël

Noël m’a apporté beaucoup de bonnes choses cette année, en termes de joies familiales et de sorties au grand air, mais un bilan de lectures un peu mitigé.

Repose-toi sur moi de Serge Joncour

repose-toi-sur-moi-quand-joncour-se-fait-tout-petit-devant-une-poupeeUn auteur de la rentrée littéraire, dont j’avais entendu parler mais que je n’avais encore jamais lu, un auteur français, avec une barbe en plus (rien à voir avec la choucroute mais qu’importe), je le trouve sur la table de la bibliothèque municipale, je le prends sans trop me poser des questions. Et je découvre une prose comme celle-là, faite de phrases à rallonges entrecoupées de simples virgules, semées de digressions et de subordonnées relatives sans pronoms introducteurs, une prose enveloppante, séduisante, prenante en un mot. Il était une fois un homme et une femme dans le Paris d’aujourd’hui. Elle est styliste, bien habillée, bien coiffée, logée du bon côté de l’immeuble, mariée et maman de jumeaux, Parisienne jusqu’au bout des ongles, elle s’appelle Aurore. Il est paysan, récemment émigré de son sud-ouest, un géant de 2 mètres et de 100 kilos, à l’étroit dans ce Paris tentaculaire et cette banlieue « sans contours », logé du mauvais côté de l’immeuble, il s’appelle Ludovic. Et évidemment ils vont tomber amoureux, comme dans les comédies romantiques, alors que tout les oppose, comme dans les comédies romantiques, et vont connaître de nombreux déboires, comme dans les com… hem, vous avez compris le principe. J’ai lu avec avidité la première moitié du livre, puis j’ai parcouru en diagonale l’autre moitié : l’histoire m’a d’abord fait vibrer, l’amour qui naît entre ces deux êtres étant suggestif et attendrissant, mais… car il y a forcément un mais… D’une part le roman frise parfois un peu l’Harlequinade (avec ses bons et ses moins bons côtés). D’autre part, les déboires en question deviennent un peu lassants, répétitifs. On sent trop la fabrication de toutes pièces. Alors même que certains détails sont très bien vus, très réalistes, c’est-à-dire pris sur le vif d’une réalité évanescente qui nous englue et nous aveugle (par exemple le bruit des valises à roulettes des touristes qui entrent et sortent d’un immeuble parisien après quelques jours de location en AirBnB, ou l’invisibilité des mendiantes roumaines sur le pavé parisien). Alors même que la description de la Nature, dans tous les sens du terme, et dans toutes ses manifestations, a du panache et de la force. Mais cette prose enveloppante, elle est à double tranchant : prenante au début, légèrement étouffante à la fin. Bravant le jury Interallié qui lui a décerné son prix, je lui décerne quant à moi un 11/20 indécis, désireuse de découvrir d’autres romans de Serge Joncour, notamment L’amour sans le faire et L’écrivain national.

Et vous, avez-vous lu Serge Joncour, et qu’en pensez-vous ? Pour avoir d’autres avis que le mien : Estellecalim a beaucoup aimé, et c’est un coup de cœur de Karine.

« Repose-toi sur moi » de Serge Joncour, Flammarion, 2016, 432 p.

Des âmes noires, d’Anne Perry

anne-perryAlors ce livre-là, enfin extrait de ma PAL, m’a carrément laissé une mauvaise impression du début jusqu’à la fin. Et n’était-ce l’envie de découvrir qui a tué la victime (mais j’avais deviné dès le début), je l’aurais laissé tomber sans plus d’hésitation. Ses prémisses étaient pourtant bonnes (ou bons ?) : Hester Latterly est une jeune infirmière qui a fait la guerre de Crimée en compagnie de la célèbre Florence Nightingale. Rentrée dans la mère patrie, elle s’assume financièrement en tant qu’infirmière libérale, une situation peu commune dans l’Angleterre victorienne du milieu du XIXe siècle. Elle est employée par une famille d’industriels écossais qui souhaitent qu’elle accompagne leur vieille mère dans le train Édimbourg-Londres, afin de s’assurer qu’elle prenne bien ses médicaments. L’emploi est bien payé, Hester accepte. Malheureusement, la vieille dame décède dans le train et l’infirmière se retrouve bien vite accusée du meurtre. Aidée de ses amis le détective Monk et l’avocat Oliver Rathbone, elle devra se dépêtrer de cette affaire qui lui vaut la corde et trouver les vrais coupables. Que de bons (ou bonnes ?) prémisses gâchés par des détails bancals, insignifiants, inutiles, caricaturaux, pas du tout crédibles, des personnages mal dessinés auxquelles je ne suis pas parvenue à m’identifier, des longueurs soporifiques. Le seul passage qui m’ait tenu en haleine a été le procès d’Hester (même si on se doute qu’elle en sort libre puisqu’elle est l’héroïne d’une série qui continue après cet opus). Nous découvrons toutes les singularités de la justice britannique, ses chausse-trappes et ses techniques, comme le fait de hisser l’accusée dans le tribunal par un plateau sortant du parquet. Et le témoignage de Miss Florence Nightingale herself en faveur d’Hester est un morceau de bravoure qui permettrait presque de racheter les 500 autres pages. Presque. Bref, Anne Perry est, pour le coup, une auteur que je n’ai plus envie de lire.

Et vous, aimez-vous la « reine des polars victoriens » ? Là encore, tous les avis que j’ai trouvés convergent et trouvent ce bouquin génial (#SyndromeMoutonNoir)… Shelbylee, The French Book Lover, Syl entre autres.

« Des âmes noires » de Anne Perry, traduit par Elisabeth Kern, 10 x 18, 2001, 480 p.

Franck Thilliez, Pandemia

C’est sur le blog de Florence que j’avais repéré Pandemia de Franck Thilliez et je l’avais noté en raison de son sujet, que je croyais être la « deep ecology », ce courant écologiste pour qui résoudre les atteintes à l’environnement revient à virer l’homme de la terre. Eh bien je n’y étais pas du tout ! Alors certes, c’est l’histoire d’un virus de la grippe inconnu qu’un malade a disséminé *quelque part* dans Paris, et qui prend très vite des proportions alarmantes, certes une menace pèse sur l’humanité, mais cela n’a rien à voir avec un quelconque souci écologiste. Me replongeant sans le faire exprès dans des histoires de grippe après l’excellent Station Eleven, j’ai pris cher en chair de poule ! (Mais Florence, Le cri, Munchcomment fais-tu pour en parler de façon tellement détendue ??) Chochotte que je suis, je ne suis pas habituée à lire des polars aussi noirs, flirtant plus qu’un peu avec les codes du film d’horreur (un genre que je ne regarde jamais, au grand jamais, sous peine de ne plus dormir huit jours d’affilée, ce que je ne peux pas me permettre en ce moment). Je l’ai quand même lu jusqu’au bout car forcément, j’avais envie de connaître le fin mot de l’histoire et voir ces pauvres flics, Franck Sharko et toute l’équipe, triompher enfin de « l’Homme en noir », le mal personnifié qui envoie des lettres écrites sur de la peau humaine et n’hésite pas à recourir aux pires sévices pour parvenir à ses fins. L’auteur s’est très bien documenté sur le Groupement d’intervention microbiologique (GIM), une sorte de « GIGN des microbes » comme le dit je crois l’un des personnages, qui existe vraiment, ainsi que sur le monde de la recherche à l’Institut Pasteur. On le sent sérieux et travailleur, ce Franck Thilliez, et même gentil, mais où va-t-il chercher toutes ces scènes d’horreur ? La comparaison entre l’enfer, les abysses, le darknet, l’apocalypse est pertinente, mais ça fait un peu satanisme de pacotille quand j’y songe maintenant, une semaine après avoir terminé ledit bouquin. On découvre à cet égard tout un tas de lieux souterrains, tous plus glauques les uns que les autres (vous n’avez pas envie de savoir à quoi les égouts de Paris ressemblent vraiment, non non, je vous assure). Mais même au grand air, il fait un peu trop gris et moche dans le Paris de Thilliez qui ressemble beaucoup à celui de Baudelaire :

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l’horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;

Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l’Espérance, comme une chauve-souris,
S’en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D’une vaste prison imite les barreaux,
Et qu’un peuple muet d’infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

– Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l’Espoir,
Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

Voilà, vous avez Pandemia en condensé et en plus poétique !

(Mais je ne suis pas niaise, je comprends l’intention, la saison des lilas aurait fait tâche dans un monde aussi nocturne). Les « bons » du roman ont du mérite de tenir le coup dans un tel univers !

Bref, un polar haletant, bien sanguinolent et qui ravira les amateurs du genre. Mais moi je préfère ne pas trop me farcir la tête avec l’idée que des tarés disposent de tellement d’outils (et de gens faibles) pour accomplir leurs sombres desseins…

« Pandemia » de Franck Thilliez, Fleuve Editions, collection fleuve noir, Paris, juin 2015, 645 p.