Parce que j’aime bien écrire (le contraire eût été étonnant), j’ai décidé de m’inscrire aux ateliers d’écriture de Leiloona. Le principe : chaque semaine, une photo est postée. Tous les participants rédigent un petit texte en lien avec cette photo. Pour ma première participation, voici le mien :
(c) Julien Ribot
Trente ans. Cela fait trente ans que je suis parti de cette maison pensant ne jamais y remettre les pieds de ma vie. A l’époque, j’avais dix-huit ans et j’étais déjà orphelin plus de la moitié de mon âge. « Orphe-deux », répondais-je, enfant, aux rares personnes qui n’étaient pas au courant de ma situation : non pas l’un mais mes deux parents m’avaient été enlevés par un stupide accident de tracteur. J’avais soif de fuir la maisonnette de ma tante, fuir ce village replié sur lui-même qui perdait un à un ses jeunes attirés par la ville toute proche.
Moi, j’avais déguerpi à l’autre bout du monde, à Paris, pour devenir quelqu’un. Doué de mes mains, j’avais acquis au fil des ans une petite réputation en tant qu’artiste plasticien. J’avais mis un voile sur mon enfance terreuse comme les maisons solognotes et construit une vie toute neuve, que j’avais remplie des paillettes de la vie parisienne. Les critiques qualifiaient mes oeuvres d' »allégories de l’enfance perdue » car je ne savais que réaliser des silhouettes éthérées, en mouvement et en papier mâché.
Ma tante, je l’invitais deux fois l’an : une semaine avec ma femme et moi sur la Côte d’Azur, pour la soulager de ses rhumatismes ; et une semaine après Noël, une fête qu’elle préférait passer dans la paroisse de son village, avec ses commères et son curé. Il ne me serait pas venu à l’idée d’aller la voir chez elle, bien que ma femme me le demandât, parfois.
Mais ma tante est morte il y a une semaine et je suis venu faire l’inventaire de la maison avec le notaire. Arrivé un peu en avance, j’observe cette façade décrépite. Décrépite, on peut le dire : un cratère en forme de cochon dodu la défigure, à droite de la porte au bleu passé. Un sourire surpris naît sur mes lèvres. Je me souviens : Jojo et moi, le dernier jour du bac. Nous grimpons sur le toit pour fumer un paquet de gauloises à demi entamé que nous avons volé sur une table du bar-tabac du coin. Nous nous agrippons à la vigne vierge mais un faux mouvement me fait glisser, et je me retrouve « cochon pendu » comme dit Jojo, la tête en bas et les pieds coincés dans le feuillage. Une grande plaque de crépi s’est détaché, et sa forme nous fait rire de plus belle.
A son habitude, ma tante ne me fit aucun reproche, mais plus tard j’éprouvais tant de remords que je lui offris la moitié de mon salaire gagné lors des vendanges, juste avant de monter pour la première fois à Paris, en stop. Pour refaire le crépi, lui avais-je dit. Je vois qu’elle n’en a rien fait.
La voisine vient d’ouvrir sa porte. Je la reconnais, malgré le passage des ans. C’est Madame Pipelotte. Elle porte bien son nom, celle-là. Ne voilà-t-il pas qu’elle accourt. Elle m’a reconnu. Elle s’exclame, me donne du « mon petit jean-Pierre », m’assure qu’elle m’a vu à la télé. Je l’interromps, j’ai envie de savoir, pour le crépi. Elle me regarde de la tête aux pieds et me lâche :
« Mais Jean-Pierre, tu ne le savais pas ? Cet argent, ta tante l’a entièrement versé à la Fondation pour l’enfance. Ce bon cœur qu’elle avait. Ce trou, dans son crépi, elle disait qu’il lui faisait penser à toi. Elle a même cessé d’entretenir sa vigne vierge pour mieux le voir. Elle espérait qu’un jour, tu reviendrais ici, avec ta femme et tes enfants… Alors, elle me disait toujours qu’elle vous préparerait une bonne galette aux pommes de terre, que tes enfants devaient connaître le goût d’ici… »
J’aime le ton et le rythme de tes mots.
Merci ! Tu as participé toi aussi ?
Malgré tout, il reste toujours de bons souvenirs.
Oui et heureusement 😉
J’aime!! bon d’accord j’ai toujours bien aimé ton style d’écriture sur les divers blogs que tu as su créer… Mais j’aime!
Merci chère Panullum, tu me masses l’ego comme diraient les Brésiliens 😉
Belle première participation ! 🙂 J’aime beaucoup les jeux de mots « orphe-deux » (mais bien sûr !) et l’image du cochon sur la façade. Quant au reste, oui, les années, malheureusement ne se rattrapent guère, ne se rattrapent plus … un petit coeur pincé pour cette tante.
N’hésite pas à venir sur les blogs des autres participants et à commenter. 🙂
Merci ! Pas eu trop le temps de commenter les autres textes mais j’en ai lu beaucoup déjà. Participations très sympas et variées.
Oui, je n’ai pas encore lu et commenté tous les textes non plus.
Il est vraiment sympa, ce texte. Il raconte toute une histoire, il y a de jolies tournures de phrases, des scènes très vivantes.
C’est une réussite, bravo !
Merci beaucoup ! As-tu participé toi aussi ?
« Pour refaire le crépi, lui avais-je dit. Je vois qu’elle n’en a rien fait. » J’ai beaucoup aimé lire ton texte.
Un très joli texte. J’ai beaucoup aimé l’émotion de la fin. Malheureusement le temps ne se rattrape pas et on se rend compte, souvent trop tard, de l’importance que certains moments auraient pu avoir. Heureusement il reste les souvenirs. Mais cela aurait été tellement magique d’en recréer de nouveau.
Eh oui, il faut savoir saisir les occasions !
J’ai beaucoup aimé « Orphe-deux ». Et la fin, bien sûr 😉 . Tes scènes sont très imagées. Merci pour ton texte !
Les mots ont toujours une psychologie bien à eux 😉 Merci à toi.
Bravo, bravo ! Je découvre ce texte et en suis épatée … et fière !
Merci!