Doggerland, d’Elisabeth Filhol

Il était une fois le Doggerland, l’Atlantide engloutie de la mer du Nord. Une île qui s’étendait il y a fort longtemps entre les côtes britanniques, danoises et norvégiennes, voire même s’y rattachait comme un seul et même continent avant la dernière période glaciaire (l’Angleterre n’a donc pas toujours été une île, ce qui est à mon avis le plus gros scoop de ce livre). Une sorte de paradis perdu au cœur d’une mer mal-aimée. Aujourd’hui, il n’en reste que le Dogger Bank, un banc de sable sous-marin riche en pétrole et en restes d’animaux terrestres et d’outils datant du mésolithique, que les pêcheurs remontent parfois dans leurs filets.

Margaret et Marc s’y intéressent chacun pour des raisons différentes. Elle est archéologue des fonds marins ; il effectue des relevés sismiques en mer pour le compte de sociétés travaillant dans le domaine de l’énergie. Elle est tournée vers le passé, conservatrice ; lui se projette dans un futur innovant. Ils se sont connus du temps de leurs études à l’Université de Saint-Andrews, lui le Français de la première fournée Erasmus, elle l’Écossaise introvertie, et se sont quittés sur un malentendu. Un congrès au Danemark va les réunir après plus de 20 ans de séparation, tandis qu’au même moment, la tempête Xaver balaye l’Europe du nord.

Xaver a réellement eu lieu en décembre 2013 (je n’en avais aucun souvenir, mais la France a été moins touchée sans doute ?) et de façon générale, les (nombreuses) informations scientifiques sont toutes précisément étayées. Pour être tout-à-fait honnête, la géologie, la météorologie et l’archéologie ne font pas partie de mes violons d’Ingres, je n’y connais à peu près rien et ne me doutais pas de l’existence du Doggerland avant d’avoir lu ce roman. Mais c’est justement la façon dont des sciences « brutes », a priori peu romanesques, pouvaient être traitées dans un roman qui m’intéressait.

Fabriquer une histoire à partir de sismographes, de plateformes pétrolières offshore et de débris fossiles rejetés par l’estran est une gageure.

Dramatiser poétiquement l’évolution du système dépressionnaire d’un cyclone extratropical est un pari réussi.

Me faire vibrer à la lecture de cette phrase « De l’inlandsis soufflaient les vents catabatiques » est une de ces petites épiphanies littéraires auxquelles je ne m’attendais pas.

Et puis, il faut avouer tout de même que cette histoire d’île engloutie il y a des milliers d’années est bougrement romantique.

J’y reconnais une patte contemporaine, qu’on retrouve chez une Maylis de Kerangal par exemple. La possibilité offerte au lecteur de s’inviter dans des sujets complètement abscons de prime abord est une piste féconde pour la vulgarisation scientifique (il n’est que de voir l’immense succès de la BD du professeur Moustache, qu’on ne présente plus). Avantage du roman, il n’y a pas la barrière entre sachants et profanes, il y a juste des personnages, une histoire, un style, un souffle.

Or autant le dire tout de suite, de souffle, ce roman en manque paradoxalement, mais du côté de la fiction proprement dite. Malgré l’omniprésence de la tempête et les efforts de l’autrice pour nous vendre une histoire d’amour contrariée, j’ai trouvé que les personnages étaient d’un plat barbifiant, leur histoire ne décollant à aucun moment. Bref, autant je me suis laissée embarquée de bonne volonté dans la première moitié du roman, qui s’occupe beaucoup des questions scientifiques liées au Doggerland, autant j’ai dû m’accrocher à partir du moment où Marc et Margaret se retrouvent. Il n’y a guère que l’épilogue aux accents barjavéliens (le Barjavel de la Nuit des temps) pour retrouver grâce à mes yeux.

Je classe donc ce roman au rang des semi-déceptions, car s’il m’a bien hameçonnée au début, il m’a ensuite laissée à la dérive.

(Il faut dire aussi que le style littéraire adopté par Filhol m’a laissée un peu perplexe au fil de la lecture. Pourquoi pratiquer les phrases à rallonge quand on ne les fait pas bien retomber sur leurs pieds ? Est-ce voulu ou pas ? En tout cas, ça rajoute des préciosités à une histoire qui aurait pu s’accommoder d’un emballage plus sobre, de mon point de vue.)

Je pose donc la question : peut-on écrire un roman scientifique, avec parts égales de (vraie) science et de drame romanesque ? Ou est-on condamné à investir plus l’un des éléments au détriment de l’autre, au risque de verser, soit dans la caricature scientifique, soit dans le déficit romanesque ? Avez-vous des titres de bons romans scientifiques (ou traitant de science au sens large) à me conseiller ?

« Doggerland » d’Elisabeth Filhol, P.O.L., janvier 2019,  352 p.