Guy de Maupassant, Une vie

« Une vie » de Maupassant, ce n’est pas 24 heures dans la vie d’une femme mais plutôt ce temps central qui court de la période du pré-mariage à celle du veuvage, soit l’essentiel d’une vie de femme de la petite noblesse normande au début du XIXe siècle.

de287-unevieMaupassant nous introduit brillamment dans la psyché de Jeanne, jeune oie blanche de 19 ans qui retourne enfin dans son foyer après des années austères au couvent. Choyée par des parents affectueux dont elle est la fille unique, elle retrouve avec ravissement la Nature qui s’éveille au printemps dans le manoir familial, idéalement situé au bord d’une falaise, dans le pays de Caux. Les paysages, les bois et bosquets, les vallons et vallées, les aurores et les nuits, la mer (« la mer, toujours recommencée ! »), tout participe à l’éveil de ses sens. Et tout d’un coup surgit l’Homme à l’orée d’un chemin, que rapidement nous pressentons être son Destin. 

Il y a une grande modernité chez Maupassant. Certes, a priori ce roman suit le schéma classique de la femme déçue et oisive du XIXe siècle, se morfondant en une lente descente aux enfers, une sorte de Madame Bovary en herbe (Maupassant admirait beaucoup son mentor Flaubert).

Mais tout n’est pas si tragique au fond chez Maupassant, la vie suit son cours avec une certaine légèreté, et Jeanne ne finit point comme Madame Bovary. Au passage, Maupassant égratigne tout ce beau monde avec une ironie légère : les aristocrates idéalistes et ceux qui comptent les quartiers de noblesse, les hobereaux avares, les paysans rusés, les curés bons vivants et les fanatiques, la naïveté des jeunes filles pour tout ce qui a trait à l’acte conjugal, les « fins de race »…

Tout cela au milieu de descriptions splendides de la nature normande (et corse !) et des mœurs de ses habitants qui confinent au récit sociologique : les châtelains qui « règnent » en seigneurs féodaux côtoient l’arrivée du chemin de fer qui bouscule le rythme campagnard ; la pratique religieuse, volatile et superstitieuse, se marie sans trop de peine au voltairianisme du baron, le père de Jeanne ; et Jeanne se confessant volontiers à son curé, notamment à propos de sa vie conjugale la plus charnelle, ne fait pas donner les sacrements à son fils…

In fine, les personnages ne sont pas toujours là où on les attend et j’ai été charmée par les subtils revirements de situation, même s’il ne faut s’attendre à un coup de théâtre majeur. On finit cette lecture avec une légère amertume… Car tout de même, Jeanne et le comte… je n’en dis pas plus mais je le pense très fort ! Avis à ceux qui l’ont lu 😉

Cette lecture participe à mes deux challenges de l’année (bingo !) :

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  • Le Challenge Myself dans lequel je me suis fixée la lecture de classiques (traînant dans ma PAL justement).

 

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Ian McEwan, Sur la plage de Chesil

« C’était encore l’époque – elle se terminerait vers la fin de cette illustre décennie – où le fait d’être jeune représentait un handicap social, une preuve d’insignificiance, une maladie vaguement honteuse dont le mariage était le premier remède. Presque inconnus l’un de l’autre, ils atteignaient, étrangement réunis, un des sommets de leur existence, ravis que leur nouveau statut promette de les hisser hors de leur interminable jeunesse – Edward et Florence, enfin libres ! » (p.14)

Sur la plage de ChesilDécidément, je ne quitte pas le secret des alcôves, et je ne quitte pas McEwan non plus, grâce à la proposition de Lili de lire ce roman en commun (je vous invite à lire son billet ici). Au passage, j’aime l’idée des lectures communes : découvrir ce que l’autre a pensé d’un livre que l’on vient de terminer, comparer les avis et les commenter… Ça apporte une dimension plus sociale à la lecture – qui est sinon, il faut bien le dire, un tête-à-tête assez exclusif entre un lecteur et un auteur qu’il ne connaît pas personnellement la plupart du temps (souvent d’ailleurs, le second est déjà mort) et des personnages qui n’existent pour ainsi dire que dans un imaginaire partagé. De là à dire que les grands lecteurs ne sont pas seuls dans leur tête… 😉

Florence et Edward s’aiment, ils viennent de se marier et sont arrivés dans l’hôtel de leur nuit de noce, au bord de la plage de Chesil. Mais ils sont jeunes et chastes et, en ce début des années 60, la prude Angleterre n’a pas encore inventé la mini-jupe. Tout ne va donc pas se passer comme chacun l’espérait…

Avec la plage de Chesil, j’ai retrouvé le romancier d’Expiation, profond, parfois tragique, mais aussi léger et ironique, même si clairement, là encore, pour moi le second titre demeure inégalé. Sur la plage de Chesil ne fait que 148 pages après tout, et n’a pas le temps de pousser des ramifications aussi profondes que celles d’Expiation.

La narration ici se concentre sur nos deux tourtereaux : le face-à-face qui précède la nuit de noce, les rappels de leur rencontre, leurs échanges, les idées que chacun se fait de l’autre, tout cela est narré de façon à ce qu’on passe subtilement de l’un à l’autre comme dans un duo de musique classique.

McEwan manie avec précision la fine pointe des sentiments humains, et il le confirme de façon magistrale ici : peur, espoir, honte, émerveillement, ennui, béatitude, colère, inhibition, orgueil, il sait exactement trouver les mots et les bonnes images pour coller au plus près de ce que ressentent ses personnages.

« Elle se souleva sur un coude pour mieux le dévisager, et ils se regardèrent droit dans les yeux. C’était encore pour eux une expérience toute neuve, vertigineuse, que de plonger le regard une minute entière dans celui d’un autre adulte, sans gêne ni retenue. » (p.58)

J’ai admiré comment il arrive à susciter notre intérêt pour tel ou tel personnage, en narrant des épisodes marquants de son passé. Je pense notamment à cette scène magnifique où le jeune Edward, à 14 ans, prend conscience de lui-même grâce à une révélation que son père lui fait à propos de sa mère. La cristallisation de sa personnalité d’adulte se fait à ce moment-là, parce que son père a su exprimer verbalement quelque chose qu’Edward sentait confusément depuis tout petit. Ce passage de l’enfant à l’adulte est bouleversant.

« Ces termes dissolvaient toute intimité, ils mesuraient froidement sa mère à l’aune de critères que tout le monde pouvait comprendre. Un fossé se creusait soudain, non seulement entre Edward et elle, mais aussi entre Edward et son environnement immédiat, et il sentit son être, ce noyau profondément enfoui dont il ne s’était jamais occupé jusqu’alors, acquérir une réalité objective, tête d’épingle incandescente dont il voulait que personne ne devine l’existence. » (p. 71)

Il est aussi le romancier de la fatalité, du grain de sable qui vient enrayer la belle mécanique de l’amour. Les non-dits, une pudeur excessive, un clair manque de communication dans ce jeune couple qui plane dans les hauteurs, la fierté offensée également, il suffit d’un rien pour faire basculer l’histoire vers une issue que l’auteur ménage comme un chausse-trappe. Contrairement à Asphodèle (qui parle magnifiquement bien de ce roman), je ne pense pas que Florence ait vraiment un problème sexuel. Dans ma vision optimiste, il aurait suffi qu’elle parle simplement de ses peurs à son fiancé. Avis aux couples qui veulent durer : com-mu-ni-quez ! (Sachez-le, si un jour je me reconvertis professionnellement, je serai conseillère conjugale !)

« La jeune mariée prenait tout son temps – encore une tactique pour retarder l’échéance, qui ne faisait en réalité que l’enferrer davantage. Elle avait conscience du regard adorateur de son mari, mais dans l’immédiat elle ne se sentait pas trop tendue ni bousculée. En changeant de pièce elle avait plongé dans un état irréel, inconfortable, aussi encombrant qu’un vieux scaphandre en eau profonde. Ses pensées ne semblaient plus lui appartenir : elles lui étaient insufflées, comme de l’oxygène par un tuyau. » (p.75)

Mais si l’auteur retrace assez bien les jeunes années d’Edward et sa personnalité, un plus grand mystère couve la vie de Florence, et l’auteur semble faire allusion très très très indirectement – peut-être l’ai-je rêvé – quoique non, puisque Lili m’a dit qu’elle avait eu la même impression que moi – à un traumatisme de son adolescence. J’eusse aimé (ah le charme désuet du conditionnel passé) en savoir un peu plus sur elle, il ne me reste plus qu’à imaginer.

In fine, je n’ai pas pu m’empêcher de penser que l’auteur avait amorcé une histoire très prometteuse et qu’il la clôturait trop brusquement, en queue de poisson, sous la forme d’une fable à la morale implacable. Ce déterminisme vaut à ce livre d’échapper à mon coup de cœur. Je n’ai pu m’empêcher non plus de penser que McEwan avait mis un peu de lui dans Edward. Et enfin, sur la plage de Chesil, je n’ai pu m’empêcher d’entendre la voix d’Yves Montand chanter : « …Et la mer efface sur le sable / Les pas des amants désunis… »

« Sur la plage de Chesil » de Ian McEwan, Gallimard, 2008, 148 p.

Challenge « A year in England« 

Léonor de Récondo, Amours

Afficher l'image d'origineLe Loir-et-Cher en 1908, non pas chez Laurette, mais chez maître Anselme de Boisvaillant, notaire (décidément, cette profession me colle aux basques en matière de lectures de l’année !). Au rez-de-chaussée et au premier étage se languit sa jeune épouse Victoire. Cela fait cinq ans qu’elle espère donner un enfant à son mari. Elle se sent vide et inconsistante. Au sous-sol et sous les combles s’échine la jeune bonne Céleste. Élevée à la dure, elle n’a jamais eu une pleine conscience d’elle-même. A la faveur d’une naissance va en advenir une seconde : celle de différentes amours qui vont réchauffer la sage maison bourgeoise. 

J’avais oublié la recommandation de Lili : j’ai lu la 4e de couverture qui effectivement en dit trop long sur une histoire somme toute assez simple. Des phrases concises et claires, au présent, plantent le décor d’une sorte de vaudeville Belle Epoque pour un éternel trio amoureux : ici le mari, sa femme et la bonne.

J’en connais qui ont eu le coup de cœur pour ce roman, qui en ont parlé magnifiquement, et à raison, et je m’excuse auprès d’eux par avance de ma franchise à son propos. Mais, si le style est suffisamment fluide et clair pour m’avoir permis de lire ce roman en une heure ou deux d’insomnie, si certaines trouvailles sont belles comme une sonate de Bach jouée avec passion au piano (Léonor de Récondo n’est pas musicienne pour rien), je dois dire que je n’ai guère été touchée aux entrailles par un récit qui est tout de même censé être celui d’un éblouissement amoureux et d’une découverte du corps. Peut-être les personnages, l’époque elle-même, ne sont-ils pas suffisamment travaillés à mon goût. Je n’y ai pas cru, tout simplement. Il me manquait cette touche d’authenticité, de vérité qui font les grands romans. J’ai plutôt eu l’impression d’un exercice de style, certes joliment écrit et mis en scène, mais comportant des détails qui me gâtaient mon plaisir. Par exemple ce père Gabriel (à l’époque, je crois qu’on disait « Monsieur l’abbé ») qui promet l’enfer à l’une de ses ouailles. Comment dire… Non. Pas au début du XXe siècle. Au début du XVIe d’accord. Mais pas en 1908. (Encore que je n’en sais pas plus que l’auteur n’est-ce pas, je n’ai pas épluché les archives des curés de l’époque, mais c’est une impression, et j’en ai eu d’autres semblables. Or je suis très sensible aux impressions et aux détails qui sonnent justes !)

J’ai quand même été touchée par le personnage de Céleste. Je crois que c’est un personnage, et une histoire en général, qui gagneraient à être approfondis. La condition domestique est une grande pourvoyeuse de drames sociaux, amoureux ou satiriques comme en attestent Jane Eyre, Le Journal d’une femme de chambre ou Les Bonnes, et le cas de Céleste ne déroge pas aux deux premières catégories.

Mais pourquoi le bébé lui-même a-t-il si peu de présence ? Est-il simplement l’instrument de la rencontre ? Pourtant là aussi, je me serais attendue à ce que l’amour si particulier unissant une mère à son enfant soit davantage mis en valeur.

Alors oui, il y a la beauté des corps, l’épiphanie de l’amour, tout cela est bellement narré, mais vous l’aurez compris, je suis passée à côté…

« Amours » de Léonor de Récondo, Ed. Sabine Wespieser, 276 p.

Haruki Murakami, Chroniques de l’oiseau à ressort

« Reprenant mes esprits, je remarquai un vrombissement léger et monotone dans l’air, comme des ailes d’insectes. Non, le son était trop artificiel, trop mécanique pour être produit par un insecte. La fréquence variait de façon subtile, vers le grave ou l’aigu, comme une radio réglée sur ondes courtes. Je retins mon souffle, tendis l’oreille, essayant de savoir d’où venait ce bruit. Il semblait venir d’un point dans les ténèbres et en même temps de l’intérieur de ma propre tête. La frontière entre ces deux mondes était vraiment difficile à déterminer dans cette profonde obscurité. » (p. 868).

Coucou !

Je suis là !

Oui, oui, je sais, ça fait longtemps que je n’ai point pointé mon nez par ici.

murakamiMais j’ai une excuse, et de taille : je me farcissais les 950 pages de « mon » Murakami. Et c’est une lecture qui prend son temps, avec des embardées brusques et des pannes moteur.

Et puis, depuis mon dernier billet, l’ignoble a eu lieu en plein cœur de Paris et… je n’ai pas eu la force d’ajouter ma voix aux torrents de mots qui se sont déversés sur le net, comme des milliers de larmes pleurant les morts de la nation. Non pas que je n’ai pas communié, et vibré, à certains textes emplis de peine abyssale, de (stu)peur, de colère, d’espérance aussi, et de force. Mais quand notre réalité change si brusquement comme ça, et qu’elle ne sera jamais plus vraiment la même qu’avant (j’ai l’impression de parler comme Murakami), j’ai besoin d’un temps de recul et de silence.

Bref, revenons au sujet du jour : mon premier Murakami !

C’est l’histoire d’un homme de trente ans (quel bel âge n’est-ce pas) qui s’appelle Toru Okada, habite à Tokyo et est au chômage. Un beau matin, il commence à recevoir d’étranges coups de téléphone de femmes inconnues et des visites aussi, une voyante, un vétéran de la guerre de Mandchourie, sa jeune voisine, qui lui racontent leur vie. Et puis sa femme, Kumiko, disparaît. Et après quelques plongées dans les profondeurs de son inconscient (et du puits de ses voisins), il se décide à se mettre à sa recherche. Il y a aussi un personnage maléfique dans l’histoire, c’est le frère de sa femme. Ah oui, et un « oiseau à ressort » dont le symbolisme m’a un peu échappé, mais qui semble lié au passage du temps, aux rapprochements parfois insolites entre événements du passé et événements du présent.

Murakami, il faut accepter de rentrer et de se laisser guider dans les méandres de son univers. Les éléments de l’histoire, qui nous semblent disparates au début, se rejoignent ensuite pour former un ensemble cohérent, sinon très réaliste. Ainsi Toru va devoir apprendre de ses nouveaux amis des histoires qui vont parfois se révéler des clés de l’énigme de la disparition de Kumiko ou des moyens de découvrir la vérité, une vérité forcément fuyante sous le vernis de la réalité. Mais on est d’accord, certaines histoires restent complètement obscures. Il y a une bonne dose de tao là-dedans : une vérité à découvrir par l’immersion de soi dans un espace vide, le ying et le yang… Toru a un peu le caractère de l’eau qui dort : il semble passif jusqu’à ce qu’il se mette à agir, avec persévérance et parfois impulsivement.

Je ne dirais pas que j’ai été conquise, mais oui, ce roman m’a quand même bien pris par la main et embarquée dans son monde, un monde où un chat disparu, une jupe qui manque au pressing ou un chapeau en plastique rouge ont un sens propre qui dépasse leur simple apparence. Les Chroniques, c’est un peu le monde de Narnia de la vie de banlieue, un grossissement de la réalité qui la rend étrange et enchanteresse et peut basculer par moment dans une para-réalité un peu fantastique. Mais contrairement au monde féerique de C.S. Lewis, il y a des scènes assez crues, sur lesquelles malheureusement, je tombais systématiquement le soir au moment de m’endormir (un viol, et des scènes insoutenables de la guerre russo-japonaise en Mandchourie lors de la Seconde Guerre mondiale), et vous savez, j’ai l’imagination galopante et le cœur tendre (je ne supporte même plus les scènes où les animaux souffrent maintenant, ça a à voir avec ma lecture du moment). Une autre chose qui m’a chiffonnée, c’est de ne pas savoir si l’histoire de Toru a lieu dans les années 1980 ou 1990, or en plus d’avoir un cœur de guimauve, j’ai une certaine psychorigidité sur les dates (qui est la seule blogueuse à afficher les dates d’édition dans ses titres de billet, hein ? 😉 ).

Je suis contente d’avoir découvert cet auteur si connu, en commençant par une de ses œuvres moins connues. Je vais laisser reposer (au moins un an) et poursuivrai peut-être avec L’Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage. Malgré tout, il y a des choses qui, maintenant que je suis sortie de cette lecture depuis 3-4 jours me semblent de plus en plus « mystico-gazeuses » comme dirait mon cher et tendre, et sans grand intérêt (heu, le pouvoir « chamanique » qu’une riche femme d’affaires découvre en Toru, ça j’avoue, je n’ai pas trop compris).

Thomas Hervouët, Les pieuses combines de Réginald

Réginald Le Vaillant est notaire de son état, catholique de surcroît. Il chérit la stabilité, la transmission du patrimoine matériel et immatériel et les bonnes mœurs peaufinées par des siècles d’aristocratie française. Mais il n’est pas contre un petit épisode de Fridge (super série américaine sur des congélations bioniques) de temps en temps, un samedi après-midi, entre deux informations télévisées sur la geste frénétique du président Jean-Pierre Starky (prêt à envahir la finance internationale incarnée par la Suisse ou à réformer les programmes d’histoire du collège – ce qui est tout autant risqué) et les commentaires de son principal adversaire politique, le Corrézien Francis Gouda. Mais ce divertissement au sens pascalien s’interrompt quand sa chère épouse lui demande de prendre leur fille Athénaïs entre quat’ yeux pour avoir, enfin, une conversation sérieuse sur le fiancé qu’elle s’est choisi. Pensez donc, cet Elton Moulard est un pur produit de la gauche caviar parisienne, ami des grands, des puissants et des paillettes, et pas catholique pour deux sous (de quête) ! Réginald va devoir prendre son courage à deux mains sans repousser à demain… Il va aussi mettre la main sur Jean-Arthur, un jeune artiste fauché mais au profil prometteur (et accessoirement héritier de la fortune d’une demoiselle de Roquefort qui lui est apparentée, sous la condition expresse d’être bon catholique – ce que personne ne sait, sauf notre Réginald bien-sûr, qui se charge de la succession), et ce pour susciter le doute dans le couple Elton-Athénaïs. Il va enfin embarquer tout ce petit monde à Lourdes sur les pas de Bernadette Soubirous et de la Vierge qui fait des miracles…

L’auteur est primo-publiant et vrai catholique pratiquant. Ce n’est pas une raison pour bouder son plaisir en lisant ce petit concentré d’humour boulevardier et pétillant, se moquant joyeusement de tout et de tous, et surtout des petits travers de la bonne bourgeoisie catholique parisienne. Pour ceux qui sont familiers de cet univers (comme moi), le portrait est réjouissant et les détails savoureux : les discussions sur le mariage, l’assemblée de prière charismatique, les tics de langage (« j’ai prié pour défaire les nœuds de cette situation »), les pèlerins bigarrés de Lourdes et les services aux malades, le jeune curé star des réseaux sociaux et des sessions de formation, et l’indépassable malentendu autour du sexe (que l’auteur ne se prive pas de touiller avec bonne humeur mais sans trancher entre qui est définitivement has been et qui est libéré quant à la chose).

Du coup, je me demande comment ce roman pourrait être reçu par des lecteurs qui sont éloignés de la sphère catho. Il est sûr que certaines allusions pourraient leur passer un peu au-dessus de la tête. Certaines situations sont franchement tirées par les cheveux (le couple Virgile-Cassandre chez le notaire ; la mort de Zénobie de Roquefort), et pour tout dire, le début du roman m’a un peu agacée. J’avais l’impression de lire un pastiche complaisant qui cultivait un certain esprit d’entre-soi avec un grand clin d’œil appuyé.

Mais finalement ce roman n’est pas une immense private joke pour cathos. Il s’est révélé être une bonne tranche de burlesque « pour tous », dont le rire va en augmentant, notamment à partir du voyage en train vers Lourdes (Jean-Arthur qui contemple le ballast à travers le trou des toilettes du train corail comme une métaphore de l’absurde fait vraiment monter la mayonnaise) ; tout cela finissant en apothéose lors du week-end à Blanpré, le domaine tourangeau des Le Vaillant, qui réunit les parents d’Athénaïs et d’Elton et tous les autres protagonistes de l’histoire. L’auteur fait aussi la part belle à d’autres archétypes sociaux (car tous les personnages sans exception sont évidemment des caricatures) et son côté « prof de lettres » se laisse entrevoir dans les digressions enjouées du narrateur qui joue avec ses personnages et convoque tour à tour les mânes de Pascal, du peintre David et de Roberto Benigni.

« Arrivé à cette étape de notre récit, il est nécessaire de faire le point sur la personnalité et l’état d’esprit de Jean-Arthur Chambourcy. Si la littérature jouissait des mêmes privilèges que la télé-réalité, on peut parier qu’à ce moment de l’émission, la main invisible du producteur retirerait le candidat Chambourcy du plateau pour l’asseoir dans un profond fauteuil mauve, et l’interroger sur son vécu, son ressenti, son questionnement, son mental. Un procédé très pratique. » (p. 135).

Donc tout le monde en prend un peu pour son grade, les cathos les premiers, souvent sommés d’en répondre de leurs dogmes vintage par des sceptiques plus que goguenards. Mais les bobos de gauche sont copieusement arrosés aussi, notamment leur façon d’utiliser leurs ni-phones comme dirait ma nièce préférée 😀

Et alors, la politique et l’image totalement loufoque qu’en donne le roman, je vous raconte même pas ! La scène du musée Grévin vaut son pesant de cacahuètes 😀

Bref, pour moi c’était une parenthèse plaisante, certes un peu convenue sur la fin comme dans tout vaudeville, mais très drôle, notamment dans ses dialogues très enlevés. Le roman dont le sujet est finalement assez peu rencontré en littérature, pourra susciter aussi la curiosité des lecteurs. Car le livre se veut aussi, en filigrane, un petit guide à l’usage de ceux souhaitant en savoir plus sur cette tribu bizarre des « cathos »…