Le comte de Monte-Cristo, le Capitaine Nemo : même combat ?

Avec un titre aussi racoleur, je risque le procès pour publicité mensongère.

Non, je ne vais pas procéder à une comparaison fouillée entre ces deux chefs-d’oeuvre de la littérature d’aventures feuilletonesque du XIXe siècle. Tout simplement parce que les deux termes ne sont pas équilibrés : d’un côté, je viens enfin de terminer les 1600 pages du roman de Dumas, arrivant ainsi au bout d’une lecture qui m’aura bien tenu quatre mois tout de même (# team escargot) – de l’autre, j’ai écouté l’adaptation radiophonique de Vingt mille lieues sous les mers en une matinée sur France Culture.

Mais le confinement a ceci de bon qu’il me permet de mouliner sur à peu près tout et n’importe quoi. Alors pourquoi pas sur les similitudes entre deux célèbres héros de roman ? Pour un peu, si je me prenais pour Pierre Bayard et son « Tolstoïevski », je les fusionnerais tous les deux : le capitaine-comte de Monte-Nemo !

Parlons d’abord du Comte de Monte-Cristo. Je me demande bien comment j’ai pu louper cette lecture à l’adolescence alors que j’ai lu tant de fois Les trois Mousquetaires. Comme j’aurais suivi de grand coeur le panache blanc de la plume dumassienne dans ses mille et un détours romanesques ! Comme j’aurais vibré à l’incroyable destin d’Edmond Dantès ! Car Alexandre Dumas ne lésine pas avec son histoire de héros trahi qui prépare la vengeance du siècle, et je vais essayer de vous dire pourquoi sans tout dévoiler (en même temps, qui n’a jamais entendu parler de ce mythe de la littérature mondiale, hein ? Autant essayer de « spoiler » l’Iliade et l’Odyssée !)

Bon, trêve de points d’exclamation, revenons à Edmond : voici notre jeune marin marseillais ; il est pauvre mais un avenir radieux s’ouvre à lui, malgré les soubresauts politiques du moment (l’exil de Napoléon à l’île d’Elbe) ; méritant, aimé des siens, et surtout de la belle Mercédès, son excès de bonheur fait des envieux… Et paf ! au moment où il touchait le septième ciel, notre jeune premier est emprisonné du jour au lendemain dans un sombre cachot du sinistre château d’If, au large de Marseille. Tous ses espoirs d’en sortir se réduisant rapidement à néant, Dantès vire au héros de tragédie grecque plongé dans les enfers (en même temps, avec un nom pareil…). Devant le sort ignoble de cet innocent au coeur noble, qui expie la jalousie et l’ambition de trois sombres personnages, nous ne pouvons être que colère et compassion ! Mais au fond du gouffre, au bord de la mort, Edmond entrevoit une lueur de vie. Et cette lueur, c’est son voisin de cellule qui va la lui donner…

L’abbé Faria est un prêtre italien emprisonné pour ses opinions napoléoniennes depuis x années. Le personnel de la prison le prend pour un fou car il n’arrête pas d’évoquer un trésor fabuleux dont il serait le détenteur. On a ici le personnage du bon génie qui sort sa lampe magique pour illuminer la vie misérable d’Aladin, euh d’Edmond, et le lecteur avec. Cette lampe, c’est le savoir (tadam !). Faria est en effet un immense érudit, et il va occuper son temps libre à instruire son jeune protégé dans toutes les disciplines et langues connues.

«  Voyons, dit Dantès, que m’apprenez-vous d’abord ? J’ai hâte de commencer, j’ai soif de science.

– Tout ! » dit l’abbé.

Edmond passe de l’abattement à l’émerveillement devant le savoir mais aussi l’ingéniosité de Faria qui sait détourner les maigres ressources à sa disposition pour en fabriquer les instruments dont il a besoin (notamment : plume, encre et papier). On est là dans le récit de survie, de débrouillardise jubilatoire.

Bref, tout ça est bien joli, mais à ce moment du récit nous n’en sommes toujours qu’à un quart du récit. On s’en doute, Dantès va finir par sortir de sa prison, les yeux dessillés sur les responsables de sa condamnation, et alors sa vengeance sera terrible ! implacable !! foudroyante !!! A ce moment-là, ami lecteur, on nage en pleine fébrilité, c’est qu’on a hâte de voir les moyens qu’il va employer pour se faire justice. Mais c’est sans compter sur l’art consommé du suspense de notre romancier. La vengeance… ne sera pas immédiate (et vous me rajouterez 500 pages de plus, s’il vous plaît !).

C’est que notre Edmond veut bâtir une stratégie de très longue haleine, destinée à infliger une forme de mort lente aux coupables, lui qui a vécu les affres d’un châtiment insensé pendant quatorze longues années. C’est ainsi qu’on le perd pendant un laps de dix ans et qu’on le retrouve lors d’un long détour à Rome, en compagnie de deux jeunes Parisiens en goguette, lui-même métamorphosé en personnage immensément riche, immensément mystérieux, un cosmopolite qui a beaucoup voyagé en Orient, navigué partout, tout vu, tout lu, tout expérimenté : le comte de Monte-Cristo… Toujours aussi beau avec ses longs cheveux noirs, mais le teint étrangement pâle et le regard fixe et brillant. Il fascine tout le monde, et d’aucuns le comparent avec Lord Ruthwen, le personnage de vampire créé par Lord Byron, très à la mode à cette époque. En tout cas il a bien changé, dur dur de reconnaître en ce personnage de légende le jeune marin naïf des débuts… La partie romaine du roman est d’ailleurs très pittoresque et convoque toute une galerie de personnages de bandits italiens et corses hauts en couleur. (On sent que Dumas rallonge la sauce pour les lecteurs du feuilleton !) L’origine de la fortune du comte n’est évidemment pas sans lien avec l’abbé Faria et une petite île perdue de Méditerranée… Cette fois on est dans le mythe d’Ali Baba et sa caverne…

« … croiriez-vous la réparation que vous accorde la société suffisante, parce que le fer de la guillotine a passé entre la base de l’occipital et les muscles trapèzes du meurtrier, et parce que celui qui vous a fait ressentir des années de souffrances morales a éprouvé quelques secondes de douleur physique ? »

Enfin, telle une araignée tissant lentement sa toile, Monte-Cristo arrive à Paris. Il se rapproche ainsi de ses cibles qui habitent tous trois dans la capitale française. Après leur forfait, ils ont tous trois fait fortune, se sont fait un nom respecté et une place à Paris. Ils se fréquentent toujours, au sein de la haute société parisienne. Monte-Cristo va rapidement tourner les têtes de tout ce beau monde qui l’accueille à bras ouvert, lui et sa fortune. La mise en place des rets qui vont progressivement étouffer les trois hommes est proprement jouissive, d’autant que le comte de Monte-Cristo s’arrange pour se faire valoir la reconnaissance éternelle de ses pires ennemis (qui ne l’ont pas reconnu évidemment), grâce à des subterfuges qui le font apparaître en sauveur. En tant que lecteur, on ne perçoit pas toujours le pourquoi du comment des actions du comte, qui nous décontenancent autant que les autres personnages, ce qui contribue à donner un petit côté « énigme à tiroirs » à l’ensemble.

Mais ce récit de vengeance mathématiquement menée serait fort sec s’il n’y avait tout un contexte très « chronique mondaine » pour lui donner des couleurs. On fait connaissance avec tout un cercle de personnages attachants, comme le quatuor de dandys qui entourent Albert de Morcerf et nous offrent des types variés de personnages parisiens sous la monarchie de Juillet (le secrétaire de ministre, le journaliste, le jeune noble, le capitaine de spahis revenant d’Algérie…). On a aussi une histoire d’amour qui s’ébauche sous nos yeux, une empoisonneuse, une princesse grecque de toute beauté, un Nubien muet et très fort au lasso, un vieil impotent qui joue une part non négligeable dans toute l’histoire, un enfant trouvé dans une fosse, un ancien forçat, une jeune fille romantique, une autre qui ne veut pas se marier et se rêve en artiste indépendante (un personnage proto-féministe !), un abbé italien qui se trouve toujours au bon endroit, au bon moment… et des fêtes, des réceptions, des soirées à l’opéra, un duel… Bref, comme le dit la quatrième de couverture, on est plongés dans le Paris de Balzac fourmillant et plein de vie.

Notre Chimborazzo, c’est Montmartre ; notre Himalaya, c’est le mont Valérien ; notre Grand-Désert, c’est la plaine de Grenelle…

Arrivé au sommet de son pouvoir sur les êtres, Monte-Cristo peut bien se prendre pour Dieu, ou du moins la main de Dieu, qui punit les méchants et récompense les bons. Le personnage en arrive à égaler la puissance créative de son auteur, et ce n’est pas peu dire, vu que Dumas de son côté n’hésite pas à user de tous les artifices littéraires pour garder son lecteur en haleine, depuis les scènes d’épouvante jusqu’aux dialogues comiques, en passant par les tableaux de genre.

Et pourtant l’accomplissement de la vengeance ne comble pas le comte (ah zut ! tout ça pour ça ?!)

Et je dois avouer pour ma part, qu’après tant de pages, la vengeance avait été tellement délayée que je ne la souhaitais plus tant que ça… Certes, j’avais eu mal pour Edmond au début, quand il avait été arraché des bras de sa belle ; certes, j’avais souffert de le voir partir, le coeur encore confiant de son bon droit, en direction du cachot où il était destiné à pourrir éternellement ; certes j’en voulais à mort à ses pouilleux de compagnons qui l’avaient trahi si bassement. Mais je ne l’ai pas tant reconnu sous les traits de l’homme qui commande d’un geste à ses domestiques et paie comptant le prix d’un hôtel des Champs-Élysées (plus quelques autres « pied-à-terre » pharaoniques), rachète une esclave à prix d’or à Constantinople et infléchit le cours de l’histoire en se targuant de fumeuses théories sur la justice. Pas plus que je ne faisais le lien entre un pauvre pécheur du port de Marseille et un généralissime pair de France, ou un commis de bateau et un baron de la finance. Finalement, le seul personnage à rester lui-même de A à Z c’est le procureur du roi, un être complexe pour lequel j’ai noué une sombre sympathie, d’autant qu’il m’a semblé être celui sur qui la justice « divine » de Monte-Cristo s’exerçait le plus durement.

«  Pouvez-vous donc quelque chose contre la mort ? Êtes-vous plus qu’un homme ? Êtes-vous un ange ? Êtes-vous un Dieu ? »

À la fin le récit prend une tournure bien guimauve, mais en même temps il faut bien arriver à clore une histoire pareille, et quoi de mieux que de prôner l’amour après tant de haine ? Donc tout est bien qui finit à peu près bien pour les gentils, les personnages en demi-teinte embrassant un destin ouvert et non définitif. Monte-Cristo peut repartir voguer sur la mer le coeur en paix… en nous laissant un peu orphelins, il faut bien l’avouer, de tant de rebondissements rocambolesques (inspirés d’une histoire vraie qui semble plagier le roman).

Passons à Vingt milles lieues sous les mers de Jules Verne. Là encore, je regrette de ne l’avoir pas lu plus tôt, moi qui avais embarqué de bon coeur dans plusieurs opus des Voyages extraordinaires quand j’avais l’âge de vouloir faire le mur. Mais finalement, cela m’a permis de découvrir le superbe « concert-fiction » adapté du roman par Stéphane Michaka pour France Culture (le concert est désormais édité sous forme de livre-CD très joliment illustré, que vous pouvez feuilleter ici).

Sous les trémolos de l’Orchestre national de France, j’ai donc vaguement compris que le professeur Pierre Arronnax embarque dans le cuirassé Lincoln avec son domestique et un harponneur bourru, en quête d’un monstre marin qui déchire les coques des navires. Il penche pour l’hypothèse d’un narval. Après confrontation avec le monstre, il s’avère qu’il s’agit en fait d’un extraordinaire sous-marin. À ses commandes, le Capitaine Nemo, un être fascinant qui parle une langue inconnue avec ses hommes, dispose de tout ce qu’il lui faut pour vivre dans son sous-marin, parcourt les mers comme si c’était son jardin, et les retient tous trois prisonniers. À bord du Nautilus, Aronnax et ses compagnons vont vivre les aventures les plus extraordinaires, comme les excursions sur les planchers océaniques, le passage de l’Arabian Tunnel, la traversée de l’Antarctique ou l’attaque des poulpes géants… C’est superbe, ça ressemble à un space opéra des mers, et ça donne sacrément envie de plonger vingt mille lieues dans le livre !

J’en viens à ma comparaison entre le Comte de Monte-Cristo et le Capitaine Nemo (eh oui, moi aussi je fais patienter mes lecteurs !) Au-delà de la consonance de leurs noms, les deux hommes partagent plusieurs traits en commun.

Tout d’abord, tout simplement, le lien à la mer. Edmond Dantès est un marin de vocation, c’est la mer qui le sauve de sa captivité, sa fortune se trouve en son coeur, et sa transformation en Monte-Cristo ne l’empêche pas d’emprunter fréquemment la voie maritime sur son yacht chaque fois l’envie le prend de voyager (c’est-à-dire souvent). Nemo, lui, ne vit que par, pour, et littéralement dans la mer.

Au-delà du fait, il y a l’image de deux hommes « re-nés » par le passage dans les profondeurs, comme « Moïse sauvé des eaux ». Car tous les deux se trimballent de sacrés « cadavres » dans le sac-à-dos : le sombre passé de Monte-Cristo, on le connaît ; celui de Nemo ne nous est pas révélé, mais sa rancoeur à l’égard des terriens, son acharnement à couler certains navires croisant à proximité, son mode de vie autarcique, certaines tirades, nous montrent assez qu’il doit composer avec de lourds traumatismes.

« Monsieur le professeur, répliqua vivement le commandant, je ne suis pas ce que vous appelez un homme civilisé ! J’ai rompu avec la société tout entière pour des raisons que moi seul j’ai le droit d’apprécier. Je n’obéis donc point à ses règles, et je vous engage à ne jamais les invoquer devant moi ! »

« Tout ce qui ne tue pas nous rend plus fort » pourrait être la devise des deux hommes. Rescapés de terribles malheurs, ils ont résolu de maîtriser de bout en bout le moindre aspect de leur vie. Détenteurs de fabuleux trésors qui se trouvent toujours, comme par hasard, au fond de la mer (la grotte digne des milles et une nuits de Monte-Cristo : le Nautilus équipé de luxueux appareils, comme un orgue ou une bibliothèque garnie de milliers de volumes de Nemo), ils commandent en maîtres et ne dépendent de personne, pas même des plus hautes autorités. Doués d’une forme d’ubiquité extraordinaire, ils ont tout lu, tout vu du monde. Ce sont des êtres fascinants, capables d’infléchir le destin de tous ceux qui les croisent.

Bref, ce sont les surhommes que Nietzsche allait populariser quelques années après.

Et à votre avis, qui a dit ça, Nemo ou Monte-Cristo ? ⤵️

Je suis un de ces êtres exceptionnels, oui, monsieur, et je crois que, jusqu’à ce jour, aucun homme ne s’est trouvé dans une position semblable à la mienne. Les royaumes des rois sont limités, soit par des montagnes, soit par des rivières, soit par un changement de moeurs, soit par une mutation de langage. Mon royaume, à moi, est grand comme le monde, car je ne suis ni Italien, ni Français, ni Hindou, ni Américain, ni Espagnol : je suis cosmopolite.

Je ne peux pas terminer (enfin) ce billet sans vous renvoyer vers celle qui m’a inspiré ces deux lectures (la prof de français que j’aurais rêvé d’avoir au collège) : Le comte de Monte-Cristo et Vingt mille lieues sous les mers chez la petite marchande de prose 🙂

L’adaptation de Vingt mille lieues sous les mers en podcast sur France Culture.

Et si vous n’avez pas envie de vous taper 1600 pages, il existe une version audio du Comte de Monte-Cristo.

Et parce qu’elle m’a fait hurler de rire, allez lire le billet de Cannibal Lecteur sur Les trois mousquetaires d’Alexandre Dumas.

Ces lectures qui ont enchanté mon enfance

1b6f51f397c92e398e14c4f06c91295eVoilà un titre de billet qui fait très « comtesse de Ségur »… Il faut dire que Sophie née Rostopchine occupe une place de choix dans mes lectures d’enfance. Voilà un billet qui attendait au chaud dans mes brouillons depuis un bon moment (au moins deux ans !). Je suis une incurable nostalgique, le genre qui  adore se souvenir, donc ce billet se devait d’advenir un jour ou l’autre. Alors quand enfance se conjugue avec lectures, cela donne quoi chez Ellettres ?

Ma grand-mère m’a appris à lire à l’âge de 4 ans dit la légende. Et ma première comédie humaine à moi ce fut l’univers du pays des jouets imaginé par l’incomparable Enid Blyton pour la Bibliothèque rose, au centre duquel s’agitait un petit pantin de bois au bonnet surmonté d’un grelot, propriétaire d’une voiture jaune et meilleur ami d’un vieux sage à barbichette, je parle de… je parle de… ? *Mode question pour un champion ON*

51P7B2SS7WL._SX334_BO1,204,203,200_Oui-Oui bien-sûr ! Un enfant ne peut que s’identifier à ce petit personnage parfois pris de frustration, de jalousie ou de colère. Mais qui se dépatouillait de toutes les situations grâce à son entrain, sa bonne foi désarmante et ses nombreux amis, avec toujours une petite leçon derrière mine de rien ! J’ai lu à l’époque tous les (nombreux) exemplaires de la bibliothèque de ma grand-mère, ceux-là même que mon père avait lu avant moi. Il m’a confié récemment (à l’occasion des fêtes pour ne rien vous cacher) que Oui-Oui et le Père-Noël avait été le premier livre qu’il avait lu tout seul et que dans son souvenir, la lecture en avait été ardue mais gratifiante. J’ai exactement le même souvenir !

Peu après, j’ai enchaîné sur le Club des cinq dans la même collection culte. J’avoue être toutefois moins émotionnellement attachée que d’autres à ce quintette de détectives en herbe, mais comment ne pas le mentionner ?!

Image associéeJe garde une grande affection pour Fantômette, cette petite fille qui se la jouait un peu Superman, l’humour en plus. Ecolière le jour, justicière la nuit. J’aimais beaucoup son personnage fin et déluré (et féminin tout sauf tarte, pour ne rien gâcher !) Récemment j’ai mis la main sur tout un lot de Fantômette dans ma déchetterie (quand la corvée de déchetterie vous réserve des surprises, ou comment revenir aussi chargée au retour qu’à l’aller), j’en parlais sur IG ici.

 

Image associéeVous l’aurez compris, à l’époque, ma plus grande pourvoyeuse de livres était ma grand-mère. D’où la place de choix que tenaient les bons vieux classiques dans ma vie de lectrice junior. C’est ainsi que je dois être une des rares personnes de ma génération à avoir lu l’intégralité des aventures de Bécassine (vous aurez reconnu mon avatar). Cette bonne bretonne au grand coeur attachée au service de Loulotte, la pupille de la marquise de Grand-Air, au début du siècle dernier, me semblait si proche de moi ! Je n’étais pas le moins du monde choquée par le déphasage historique entre l’univers de Bécassine et le mien. Je ne sais pas à qui je me suis le plus identifiée, de Loulotte dont la coupe de cheveux rappelait la mienne, ou de Bécassine dont la témérité aventureuse n’avait d’égale que sa légendaire naïveté…

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Je l’annonçais en introduction, la Comtesse de Ségur était comme ma troisième grand-mère quand j’étais petite. Ah, ils ont défilé entre mes mains, les Malheurs de Sophie, les Vacances et autres Petites filles modèles ! Outre cette trilogie culte, mes titres préférés étaient :

  • Jean qui rit et Jean qui grogne : ce roman d’apprentissage de deux péquenots montés à Paris, dont la parfaite symétrie dans le bien et le mal était extrêmement jouissive.
  • François le bossu : comment vivre en société et être heureux quand on est difforme, grande question.
  • Diloy le chemineau : la confrontation presque marxiste entre un pauvre chemineau et une riche et impertinente « péronnelle » (j’ai découvert le mot à cette occasion).
  • Le diptyque L’auberge de l’ange gardien/ Le général Dourakine : où l’on découvrait les effrayantes méthodes d’éducation russes.
  • Et enfin mon préféré à ce jour, peut-être le plus « mature » de la comtesse : La fortune de Gaspard, autre roman d’apprentissage, très balzacien, d’un jeune paysan qui veut s’extraire de sa condition. J’adorais comment vers la fin il se dépouillait de son ambition avide par amour pour une jeune Allemande… Sehr romantisch.

Image associéeIl n’y a rien de tel pour combler la pensée magique d’un enfant que de lui faire lire Le pays des trente-six mille volontés d’André Maurois (1928). Suivre ces enfants embarqués dans un pays merveilleux à la Neverland, où ils obtenaient tout ce qu’ils voulaient était un vrai délice ! Puis cela sombrait dans la fable dystopique (mot à la mode). Le retour à la réalité piquait un peu… Je vous invite à lire ce joli texte d’une ancienne lectrice de ce livre.

 

Résultat de recherche d'images pour "les patins d'argent"Un peu plus tard, j’ai tant aimé lire Les patins d’argent (1865) ! Cette fois-ci c’est ma Maman qui tenait absolument à me faire lire ce classique de son enfance. On entrait dans l’univers féérique de la Hollande pétrifiée sous la glace hivernale au XIXe siècle. On se passionnait pour ces courses en patin, et ce frère et sa soeur très pauvres dont le père était affligé d’une terrible maladie… Leur seule rédemption passait par la victoire à une compétition. Ce roman est merveilleux.

Dans le domaine du merveilleux proprement dit, il y avait ce bijou de fantasy anglaise vintage pour les enfants (Ed. Bulle d’or, plus édité) : La princesse et le goblin de George MacDonald (1872). A conseiller aux amateurs de gnomes en tout genre, et à tous les amoureux de la « petite princesse » de Burnett.

Je ne peux pas faire l’impasse sur cette série-culte de mon enfance, lue la première fois pour mes 9 ans. Mes parents me vannent encore aujourd’hui pour ma passion pour la famille Ingalls que tout le monde connaît avec La petite maison dans la prairie. Avant d’être une série TV à succès, c’est une saga en 9 tomes écrite par Laura Ingalls à partir de ses souvenirs d’enfance (édités par la collection Castor poche de Flammarion dans les 1990’s). Allant de sa petite enfance à son mariage, j’étais tellement amoureuse de la vie (pourtant rude) de ces pionniers américains que j’aurais voulu me télétransporter dans le Kansas des années 1880.

Résultat de recherche d'images pour "le tour du monde en 80 jours"J’ai aussi eu ma grande période Jules Verne (mais je crois que je serais incapable d’en relire à l’heure actuelle). Mon préféré absolu était, sans originalité aucune, Le tour du monde en 80 jours (1872). Quoi de plus haletant que cette course autour du globe du plus anglais des Anglais, Sir Phileas Fogg (pour qui la température de son thé pouvait valoir le renvoi de son personnel) et de son valet français Passepartout, poursuivis par le policier Fix ? Je dois à Jules Verne une délicieuse terreur exotique grâce à sa fameuse scène du sati en Inde. J’aimais bien aussi Voyage au centre de la Terre et Les enfants du capitaine Grant.

Résultat de recherche d'images pour "sans famille hector malot"Combien de fois j’ai pleuré en lisant l’histoire de Rémi Sans-Famille ? Heu, à peu près autant de fois que je relisais les passages où son mentor Vitalis mourait, où ses singes et chiens savants mouraient, et où les mineurs mouraient dans la mine. Hector Malot, cet Emile Zola des enfants. Heureusement, après bien des mésaventures, ça se terminait bien pour lui.

Quand j’essaie de me rappeler un coup de coeur de moi pré-ado, je pense toujours à celui-là. Bonne nuit, Monsieur Tom ! (1998) de Michelle Magorian est l’histoire d’un petit garçon anglais pendant la Seconde Guerre mondiale. Evacué de Londres pendant les bombardements, il est recueilli à la campagne par un vieux monsieur bourru. Entre les deux se tisse une relation d’affection qui prend une teinte tragique quand la mère du garçon veut le récupérer. Un roman inoubliable dont le contexte historique m’avait également marquée.

Résultat de recherche d'images pour "le club du samedi livre"Un autre must-read, une autre perle, un autre bijou (j’ai de quoi remplir un coffre à trésor). Là je veux vous parler du Club du samedi d’Elizabeth Enright (1941). Une fratrie de quatre enfants new-yorkais à qui il arrive des tas d’aventures après la création d’un club mystérieusement nommé C.E.S.A.R. C’est un récit plein d’humour, à hauteur de personnage, chaque frère et soeur ayant son caractère bien à lui et des préférences affirmées. J’adorais ces frères et soeurs qui arrivaient à fonder un club et vivre des aventures (réalistes) dans la Grande Pomme ! Il n’est malheureusement plus édité en français (mais trouvable d’occasion, édition de 1972). Trois autres romans forment une suite au club du samedi, mais je ne les ai jamais lus.

Image associéeAllez, encore une perle. Ces dames au chapeau vert de Germaine Acremant (1921), vous connaissez ? C’est l’histoire d’Arlette, une jeune Parisienne moderne envoyée chez ses quatre vieilles cousines, vieilles filles caractérisées par la verdeur de leur couvre-chef et qui vivent dans « le plus vieux quartier d’une des plus vieilles villes du Pas-de-Calais » (merci Wikipédia de me rappeler ce détail). C’est une comédie de moeurs au ton piquant, une satire très drôle de la province, mais ça, je ne me rendais pas trop compte à l’époque. Ce que j’adorais, c’était les histoires de coeur qui s’entrecroisaient avec un certain parfum de mystère, et les piques que s’envoyaient Arlette et l’aînée des cousines, l’autoritaire vieux-jeu Alcide.

Acheter le livre d'occasion Le cousin du Brésil sur livrenpoche.comUne autre pépite (oui, oui) exhumée de vieux rayonnages poussiéreux : Le cousin du Brésil de Lucie Rauzier-Fontayne (bibliothèque verte, 1966). Elle m’a fait tellement battre le coeur cette histoire d’une rencontre entre deux soeurs menant une petite vie tranquille dans leur mas provençal, et leur beau et fringant cousin tout droit venu du Brésil pour réclamer une part de la succession. Dans des parfums de lavande et de bruyère, je suivais toute émoustillée l’évolution des relations de ce trio digne d’une comédie romantique.

Résultat de recherche d'images pour "les trois mousquetaires"Qui n’a jamais vibré à la lecture des Trois mousquetaires, nan mais allo quoi ?? Qui n’a jamais été transporté par la bravoure, le panache, le sens de la camaraderie de ces trois-là qui étaient en fait quatre ? Qui n’a jamais frissonné devant les méfaits de la vénéneuse Milady et les secrets de famille d’Athos ? Qui n’a jamais été happé par leurs aventures à l’ombre du roi et de Richelieu ? Celui-là, qu’il se dénonce et j’irai le provoquer en duel ! 😂

Image associéePour faire le pendant aux mousquetaires, Les quatre filles du docteur March de Louisa May Alcott (1868). Evidemment, moi aussi je suis passée par là. Moi aussi j’ai aimé leur entre-soi féminin pendant que Papa est à la guerre (de Sécession), moi aussi j’ai adoré la rebelle Jo avec ses velléités d’écriture, et détesté cette peste d’Amy. Une autre famille américaine protestante du XIXe siècle comptant quatre soeurs, comme la famille Ingalls… Strange, isn’t it?

Un roman qui a beaucoup compté pour moi : La grand-mère aux loups d’Elisabeth Bourgois (Ed. du Triomphe, 1999). Je me suis laissée dire que le style de l’auteure laissait à désirer. Soit, mais à l’époque, cela ne m’avait pas perturbée. C’est l’histoire d’une famille du nord de la France, centrée sur le personnage de Camille née en 1900, et qui court jusqu’aux années 1990. En lisant ce livre, j’avais l’impression de me prendre le grand vent de l’histoire en pleine figure et le destin de certains personnages me laissait dévastée…

Résultat de recherche d'images pour "le prince eric"Le prince Eric de Serge Dalens, une saga souvent connue que par un petit cercle abonné aux valeurs du scoutisme, lecteurs de la fameuse collection « Signes de piste ». Un parfum parfois daté mais un souffle aventureux au charme puissant, confinant au mythe, qui m’entraînait sur les traces du blond Eric Jansen, prince de l’île imaginaire de Swedenborg au nord du Danemark, et de son ami scout, le brun Christian d’Ancourt (beaucoup plus intéressant que son compère, si vous voulez mon avis). Des complots, des amis à sauver, des méchants à combattre, le tout  saupoudré d’humour (parfois) et de références culturelles, avec pour toile de fond l’Europe des années 1930 : un récit aussi captivant que devaient l’être les romans de chevalerie au moyen-âge, et en fin de compte, un très bel hymne à l’amitié (on passera sur les valeurs parfois franchement vieille France de l’auteur).

Résultat de recherche d'images pour "le journal d'anne frank"Finir sur le Journal d’Anne Frank pour clore cette trop longue liste (des titres me reviennent au fur et à mesure que j’écris), c’est proclamer une fois de plus l’universalité des écrits de cette adolescente hollandaise d’origine juive durant la Seconde Guerre mondiale. Claquemurée avec sa famille dans un endroit secret pour échapper aux rafles nazies, victime de l’inimaginable, certes, mais aussi incroyable que cela paraisse, une adolescente qui rencontrait à peu près le même genre de problèmes que moi à cinquante années de distance, et y répondait d’une manière lumineuse. J’aurais aimé être son amie (ceci est encore valable aujourd’hui).

Dans le genre classique universel, j’ai aussi lu et aimé dans mon adolescence : La Vénus d’Ille de Mérimée, Le roman de la momie de Théophile Gautier, Boule-de-Suif de Maupassant, Le monde perdu de Conan Doyle, Le père Goriot de Balzac, L’archipel aux sirènes de Somerset Maugham et last but not least, Les Misérables d’Hugo. Comme vous le voyez, j’étais plutôt branchée sur des livres « ancien régime », même si au CDI de mon collège j’ai pu dévorer à loisir les Marie-Aude Murail, Chair de poule et autres Susie Morgenstern (et Harry Potter prêté par ma copine Rosa). Mais incontestablement, ce sont les lectures listées ci-dessus qui m’ont le plus marquée au niveau émotionnel.

Et vous ? Quels sont les livres que vous lisiez enfant et dont vous vous rappelez avec le plus d’affection ? Avez-vous lu certains de ces livres ?

*Edit : à la suite de plusieurs commentaires (oraux ou écrits) à propos de cet article, je me dois de rajouter trois séries qui furent incontournables pour moi dans mon enfance-adolescence :

  • La série des « Alice » de Caroline Quine : où une sylphide blonde en cabriolet bleu dénouait des énigmes et affrontait des personnages malintentionnés. Un mélange d’Hitchcock et de club des cinq.
  • Peu après, je suis tombée amoureuse du plus romantique et du plus stupéfiant des gentlemen cambrioleurs, Arsène Lupin de son nom le plus connu (mais cet homme volage était amoureux de « Raymonde » ou de la Cagliostro si je ne m’abuse). J’ai un très vif souvenir de « l’Aiguille Creuse », avec sa plongée dans une histoire multiséculaire enracinée dans un lieu de Normandie que je connais bien et cette énigme extraordinaire… Que ce soit de Maurice Leblanc ou d’autres auteurs, les aventures d’Arsène Lupin m’ont toujours enchantée.
  • J’ai lu aussi plusieurs romans de « Trilby » (réédités par les éditions du Triomphe). Cette ardente militante des Croix-de-feu (pour vous donner le ton) avait un don pour écrire des histoires captivantes pour les enfants. De l’histoire du petit prince indien venu séjourner en France aux aventures de cette petite « reine » d’un village provençal qui doit en rabattre de sa superbe après bien des aléas ; de l’amitié entre un petit garçon riche (mais nain) et une jeune fille pauvre (mais violoniste exceptionnelle) à la dure confrontation à la réalité d’une petite fille devenue libraire après la ruine de ses parents : l’arrière-plan moral était bien présent mais l’identification aux personnages et à tout ce qui leur arrivait fonctionnait à tous les coups !