Le désert des Tartares, de Dino Buzzati

Après mon billet sur Moi qui n’ai pas connu les hommes, Keisha m’avait proposé de lire en commun Le désert des Tartares, souvent cité comme source d’inspiration du roman dystopique de Jacqueline Harpman.

Arrivée au bout de cette lecture qui m’aura occupée la moitié de l’été (avec juste 268 pages…), puis enfin parvenue à commettre un billet un mois après, je ne peux que confronter ce « roman majeur du XXe siècle » -dixit la 4e de couv- à l’aune de celui de l’autrice belge.

Tout d’abord, le cadre. L’un et l’autre mettent en scène un lieu vide. Les personnages se retrouvent confrontés à un espace mystérieux et angoissant, une plaine au vide implacable, un trou noir aspirant sans retour tous leurs désirs, individuels ou collectifs.

Dans le Désert des Tartares, le jeune lieutenant Giovanni Drogo reçoit comme première affectation le fort Bastiani. Quand il y parvient finalement, après un rude voyage à cheval dans une région montagneuse et austère, il est décidé à en repartir aussi sec. Et pour cause : ultime bastion face à la morne étendue dudit « désert des Tartares », le fort inspire des sentiments d’amour-haine à ses occupants. La troupe et ses officiers ne vivent que dans l’attente d’une hypothétique invasion des « Tartares » que personne n’a jamais vus mais qui légitiment leur présence. Les jours, les mois et les années passent, sans que rien ne se passe (ou presque). Pas le moindre trek tartare en vue (ou presque). Remplacez les Tartares par Godot, et on tombe dans l’absurdité du théâtre de Beckett, comme les romans de garnison savent si finement en jouer. Au point que le fort Bastiani, lieu frontière entre le connu et l’inconnu, est en passe lui-même d’être oublié par le reste du pays.

On est dans un monde d’hommes ici (ce que Harpman avait symétriquement opposé dans Moi qui n’ai pas connu les hommes, comme son titre l’indique). La question pour Drogo et ses compagnons ne se pose pas de savoir ils sont ni pourquoi, mais quand et comment l’occasion de leur vie se présentera. Jamais ils ne prennent l’initiative d’explorer le désert des Tartares, puisqu’ils se conforment à la stratégie défensive de leurs supérieurs. Leur angoisse existentielle provient moins des causes de leur présence au fort que du but qu’ils poursuivent inlassablement, tels des hamsters courant dans leur roue vers une ligne d’horizon indépassable.

En effet, certains croient fermement être appelés à servir dans un lieu aussi sinistre que paumé pour une raison précise. Cette croyance devient leur cage, invisible certes, mais non moins réelle. Ils sont tout à la fois les geôliers et les prisonniers du fort, en quelque sorte.

L’image de la roue me permet d’évoquer la question du temps. Dino Buzzati enchâsse dans son récit des petites fables qui illustrent l’écoulement non linéaire du temps, lent pendant la jeunesse puis toujours plus rapide avec le passage des années. Oui, nous sommes bien ici dans le registre du memento mori, du conte moral, pas joyeux-joyeux certes mais poétique et mélancolique. Et tant qu’à évoquer les contes, pourquoi ne pas parler d’Andersen, auquel une séquence onirico-morbide de Drogo m’a fortement fait penser (il faut dire que je lisais des contes d’Andersen en parallèle, et plus précisément Les fleurs de la petite Ida).

A travers cette atmosphère onirique, on touche à la métaphysique : par différents angles d’attaque nous sommes conduits à considérer la vie humaine comme un peu de poussière qu’un désert recouvre uniformément. Seule la foi sauve, à condition de ne pas se résigner.

Moi qui n’ai pas connu les hommes est le roman des questions identitaires : qui suis-je ? d’où viens-je ? Cela correspond bien au yin, le principe féminin, lié aux origines. Et cela emmène les femmes très loin dans l’exploration de l’inconnu qui les entoure. Elles ne peuvent compter que sur leurs propres forces pour s’en sortir et développent de ce fait un fort sentiment de sororité.

Le désert des Tartares est plutôt le roman du devenir, du sens de la vie : où vais-je ? quelle est ma mission ? Une quête davantage tournée vers le principe masculin, le yang. Et pourtant, ici, les hommes font du surplace. Leur identité militaire les conduit à s’en remettre à une autorité plus haute qu’eux ; pourtant, malgré leur corporatisme, la solitude de chacun n’en est que plus accrue. Simple paradoxe ? Pessimisme fondamental sur l’impuissance des vies humaines ?

On n’en finirait pas d’explorer toutes les différentes strates de significations – politique, psychologique, symbolique, philosophique, métaphysique – de ce roman court mais percutant comme le cri d’une sentinelle. Il fait partie de ces textes intemporels, en apparence limpides mais dont la profondeur se décante peu à peu (et j’ai eu le temps de la faire décanter, croyez-moi, depuis le mois d’août). Ce qu’on appelle un incontournable. Un peu austère au départ – faut ce qui faut – mais nourrissant pour l’esprit. Et si ça peut vous motiver à le lire, ce roman possède une chute réellement digne de ce nom.

Pour lire le billet de Keisha sur ce livre, c’est par là.

« Le désert des Tartares » de Dino Buzzati, Pocket, 2007 (1ère éd. 1940), 268 p.

 

 

Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo

« Il est venu le temps des cathédrâââles-heu ! » 

Eh bien, en fait de cathédrale, dans le roman de Hugo, on reste un peu sur notre faim. Certes, Notre-Dame de Paris tient le haut du pavé (bam) mais sa présence est du genre fantomatique. Hugo explique qu’en cette fin de Moyen-Âge son temps est passé : le « livre de pierre » se fait détrôner progressivement par le livre imprimé (remember Gutenberg).

« Il se mit à fuir à travers l’église. Alors il lui sembla que l’église aussi s’ébranlait, remuait, s’animait, vivait, que chaque grosse colonne devenait une patte énorme qui battait le sol de sa large spatule de pierre, et que la gigantesque cathédrale n’était plus qu’une sorte d’éléphant prodigieux qui soufflait et marchait avec ses piliers pour pieds, ses deux tours pour trompes, et l’immense drap noir pour caparaçon. »

Mais rassurez-vous, les personnages principaux sont bien présents. « La Esmeralda » danse gracieusement sur toutes les places de Paris avec sa petite chèvre, et autour d’elle gravite un quatuor (plus ou moins) amoureux : le très épicurien philosophe Pierre Gringoire, le beau capitaine Phoebus, le funeste archidiacre Claude Frollo, et enfin Quasimodo, le sonneur de cloches, le fameux « bossu de Notre-Dame ».

Je n’ai jamais vu le dessin animé de Disney qui était sorti dans les années 1990 mais il me semble que Quasimodo y était représenté de façon plutôt sympathique bien que bossu (forcément, dans un Disney, me direz-vous…). Ce qui m’a frappée à la lecture du chef-d’oeuvre de Hugo c’est la monstruosité de Quasimodo qui le place en-dehors de l’humanité et l’accouple à « sa » cathédrale et à ses gargouilles. Loin d’être un « brave gars », il sublime sa sauvagerie par le pur amour qu’il porte à la belle bohémienne. On a là un très vif contraste entre la très grande beauté associée à la pureté, et la laideur la plus repoussante (qui n’en est pas moins pure dans ses sentiments) : des thèmes où le lyrisme hugolien grimpe à des sommets presque aussi hauts que les tours de Notre-Dame.

C’est ainsi que peu à peu, se développant toujours dans le sens de la cathédrale, y vivant, y formant, n’en sortant presque jamais, en subissant à toute heure la pression mystérieuse, il arriva à lui ressembler, à s’y incruster pour ainsi dire, à en faire partie intégrante.

Eh bien voilà, j’ai donc lu Notre-Dame de Paris 1482 (la date fait partie intégrante du titre) après avoir savouré de bout en bout l’émission de La compagnie des auteurs qui lui était consacrée, avec en hôte de choix le délicieux Adrien Goetz, préfacier de cette nouvelle édition Folio.

Dans ces retrouvailles avec notre « écrivain national », j’ai été agréablement surprise par la facilité avec laquelle l’écriture de l’auteur m’a immédiatement (re)conquise. Je m’attendais à de longs et pénibles prolégomènes narratifs, du genre de ceux qui m’ennuient un peu, je l’avoue, chez Balzac (encore un que je devrais relire pourtant). Certes, Hugo ne nous fait pas entrer tout de suite dans le vif du sujet. Il prend le temps de nous planter le décor, en mettant en scène, justement, la représentation d’un « mystère » sur une estrade du palais de justice. 

On fait connaissance avec toute une foule de ce peuple parisien qui fascine tant l’auteur et qu’il parvient si bien à nous restituer dans sa versatilité, sa naïveté ou sa fronde, son émotivité attisée par le spectacle de la beauté (Esmeralda) ou de la laideur (Quasimodo), ses jacqueries et son goût des gibets. Tiens, tiens, Hugo a commencé à écrire ce roman deux jours avant l’insurrection des Trois Glorieuses de juillet 1830, quand le peuple a érigé des barricades dans Paris et « dégagé » le jupitérien roi Charles X… (Toute ressemblance avec notre actualité fluorescente est évidemment fortuite, j’ai commencé à lire ce livre avant l’irruption du phénomène qui nous occupe tous les samedis).

Des personnages secondaires se détachent de la foule, comme notre ami Gringoire, auteur du mystère, Clopin Trouillefou le « roi des gueux » et l’écolier Jehan Frollo (joyeux drille et néanmoins frère du sombre archidiacre). Tout cela est décrit avec beaucoup d’humour et de facétie, ce qui fait ressortir le côté grotesque de la farce qui se joue là. Farce qui se poursuit lors de l’élection du « pape des fous » et nous conduit enfin jusqu’à une très fantasmagorique cour des miracles. 

– Comment s’appellent vos deux amis ?

– Pierre l’Assommeur et Baptiste Croque-Oison.

– Hum ! dit l’archidiacre, voilà des noms qui vont à une bonne oeuvre comme une bombarde sur un maître-autel.

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Voilà quoi ressemble le Panthéon selon Hugo 😉

Hugo restant Victor, il ne se prive pas d’entrecouper sa narration de chapitres entiers de digressions sur l’évolution de l’architecture au fil des âges et son remplacement progressif en importance symbolique par la presse imprimée ; sur la physionomie urbaine du Paris gothique et sa quasi disparition sous les couches successives de destructions-restaurations qu’il conspue. C’est un farouche partisan du vrai style gothique, et les discours méprisants qu’il tient sur l’architecture classique et néo-classique (le Panthéon, à l’époque église Sainte Geneviève, est traitée de « gâteau de Savoie ») peuvent nous surprendre, nous qui avons « momifié » Paris, mais qui raillons les « verrues urbaines » comme la tour Montparnasse ou l’Arc de La Défense (qui ont sans doute leurs partisans, pas taper…). A l’âge de 15 ans, j’aurais probablement sauté ces passages, mais là ils ne m’ont pas semblé rébarbatifs. Ils sont instructifs et ils nous plongent un peu plus dans l’atmosphère déroutante du vieux Paris médiéval (la Citacielle de Christelle Dabos, à côté, ce n’est qu’un pâté de sable).

Bref, on n’en finirait pas de tirer des traits entre notre époque, celle de Hugo et celle du roman enfin, qui se situe dans les bouleversements apocalyptiques de la fin du Moyen-Âge, à l’aube d’un monde nouveau. Hugo ne s’en prive pas d’ailleurs, bien au contraire, on sent qu’il s’amuse beaucoup.

Je vous le dis, monsieur, c’est la fin du monde. (…) Ce sont les maudites inventions du siècle qui perdent tout. Les artilleries, les serpentines, les bombardes, et surtout l’impression, cette autre peste d’Allemagne. Plus de manuscrits, plus de livres ! L’impression tue la librairie. C’est la fin du monde qui vient.

Et l’histoire qui nous est contée ? Elle est simple, elle est tragique. Trois hommes aiment une femme qui n’a d’yeux que pour un quatrième. Accessoirement, une double histoire de subtilisation d’enfants vient corser les choses et permet à Hugo de broder sur les thèmes de la maternité éprouvée et de la paternité adoptive qu’il adore (#TeamFantine #JeanValjeanRepresent). A ce propos, je m’étais autant trompée sur le personnage de Phoebus que sur celui de Quasimodo. Foin d’un beau couple sur lequel s’apitoyer ! Il en va plutôt de la Belle et la Bête (sans la fin heureuse).

J’ai été fascinée par la description du système judiciaire. On voit combien la dénonciation de l’iniquité de la justice humaine et de la peine de mort est une cause profondément enracinée en l’auteur. J’ai aussi goûté tout simplement la peinture vive des personnages – il y a un fantastique chapitre sur le roi Louis XI, lugubre en vieillard avaricieux et amateur de cages… -, l’atmosphère carnavalesque du roman, le parler de l’époque, les us et coutumes… Hugo est un très bon costumier, il nous offre un Moyen-Âge sur le déclin très vivant. (En revanche, toutes les références à l’alchimie, abondamment pointées dans l’appareil de notes, me sont largement passées au-dessus…).

– Messire, dit piteusement Gringoire, c’est en effet un prodigieux accoutrement, et vous m’en voyez plus penaud qu’un chat coiffé d’une calebasse. C’est bien mal fait, je le sens, d’exposer à messieurs les sergents du guet à bâtonner sous cette casaque l’humérus d’un philosophe. Mais que voulez-vous, mon révérend maître ? la faute en est à mon ancien justaucorps qui m’a lâchement abandonné au commencement de l’hiver, sous prétexte qu’il tombait en loques et qu’il avait besoin de s’aller reposer dans la hotte du chiffonnier.

Victor Hugo a bâti son roman comme une cathédrale, avec une armature solide, des personnages piliers et des envolées sublimes vers les cieux. À l’intérieur, il y a tout un espace disponible à l’imagination du lecteur, qui y trouve à boire et à manger…

« Notre Dame de Paris » de Victor Hugo, préface d’Adrien Goetz, édition de Benedikte Andersson, Folio Classiques, 944 p. (avec plus de 300 pages de notes et dossier).

 

Ces lectures qui ont enchanté mon enfance

1b6f51f397c92e398e14c4f06c91295eVoilà un titre de billet qui fait très « comtesse de Ségur »… Il faut dire que Sophie née Rostopchine occupe une place de choix dans mes lectures d’enfance. Voilà un billet qui attendait au chaud dans mes brouillons depuis un bon moment (au moins deux ans !). Je suis une incurable nostalgique, le genre qui  adore se souvenir, donc ce billet se devait d’advenir un jour ou l’autre. Alors quand enfance se conjugue avec lectures, cela donne quoi chez Ellettres ?

Ma grand-mère m’a appris à lire à l’âge de 4 ans dit la légende. Et ma première comédie humaine à moi ce fut l’univers du pays des jouets imaginé par l’incomparable Enid Blyton pour la Bibliothèque rose, au centre duquel s’agitait un petit pantin de bois au bonnet surmonté d’un grelot, propriétaire d’une voiture jaune et meilleur ami d’un vieux sage à barbichette, je parle de… je parle de… ? *Mode question pour un champion ON*

51P7B2SS7WL._SX334_BO1,204,203,200_Oui-Oui bien-sûr ! Un enfant ne peut que s’identifier à ce petit personnage parfois pris de frustration, de jalousie ou de colère. Mais qui se dépatouillait de toutes les situations grâce à son entrain, sa bonne foi désarmante et ses nombreux amis, avec toujours une petite leçon derrière mine de rien ! J’ai lu à l’époque tous les (nombreux) exemplaires de la bibliothèque de ma grand-mère, ceux-là même que mon père avait lu avant moi. Il m’a confié récemment (à l’occasion des fêtes pour ne rien vous cacher) que Oui-Oui et le Père-Noël avait été le premier livre qu’il avait lu tout seul et que dans son souvenir, la lecture en avait été ardue mais gratifiante. J’ai exactement le même souvenir !

Peu après, j’ai enchaîné sur le Club des cinq dans la même collection culte. J’avoue être toutefois moins émotionnellement attachée que d’autres à ce quintette de détectives en herbe, mais comment ne pas le mentionner ?!

Image associéeJe garde une grande affection pour Fantômette, cette petite fille qui se la jouait un peu Superman, l’humour en plus. Ecolière le jour, justicière la nuit. J’aimais beaucoup son personnage fin et déluré (et féminin tout sauf tarte, pour ne rien gâcher !) Récemment j’ai mis la main sur tout un lot de Fantômette dans ma déchetterie (quand la corvée de déchetterie vous réserve des surprises, ou comment revenir aussi chargée au retour qu’à l’aller), j’en parlais sur IG ici.

 

Image associéeVous l’aurez compris, à l’époque, ma plus grande pourvoyeuse de livres était ma grand-mère. D’où la place de choix que tenaient les bons vieux classiques dans ma vie de lectrice junior. C’est ainsi que je dois être une des rares personnes de ma génération à avoir lu l’intégralité des aventures de Bécassine (vous aurez reconnu mon avatar). Cette bonne bretonne au grand coeur attachée au service de Loulotte, la pupille de la marquise de Grand-Air, au début du siècle dernier, me semblait si proche de moi ! Je n’étais pas le moins du monde choquée par le déphasage historique entre l’univers de Bécassine et le mien. Je ne sais pas à qui je me suis le plus identifiée, de Loulotte dont la coupe de cheveux rappelait la mienne, ou de Bécassine dont la témérité aventureuse n’avait d’égale que sa légendaire naïveté…

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Je l’annonçais en introduction, la Comtesse de Ségur était comme ma troisième grand-mère quand j’étais petite. Ah, ils ont défilé entre mes mains, les Malheurs de Sophie, les Vacances et autres Petites filles modèles ! Outre cette trilogie culte, mes titres préférés étaient :

  • Jean qui rit et Jean qui grogne : ce roman d’apprentissage de deux péquenots montés à Paris, dont la parfaite symétrie dans le bien et le mal était extrêmement jouissive.
  • François le bossu : comment vivre en société et être heureux quand on est difforme, grande question.
  • Diloy le chemineau : la confrontation presque marxiste entre un pauvre chemineau et une riche et impertinente « péronnelle » (j’ai découvert le mot à cette occasion).
  • Le diptyque L’auberge de l’ange gardien/ Le général Dourakine : où l’on découvrait les effrayantes méthodes d’éducation russes.
  • Et enfin mon préféré à ce jour, peut-être le plus « mature » de la comtesse : La fortune de Gaspard, autre roman d’apprentissage, très balzacien, d’un jeune paysan qui veut s’extraire de sa condition. J’adorais comment vers la fin il se dépouillait de son ambition avide par amour pour une jeune Allemande… Sehr romantisch.

Image associéeIl n’y a rien de tel pour combler la pensée magique d’un enfant que de lui faire lire Le pays des trente-six mille volontés d’André Maurois (1928). Suivre ces enfants embarqués dans un pays merveilleux à la Neverland, où ils obtenaient tout ce qu’ils voulaient était un vrai délice ! Puis cela sombrait dans la fable dystopique (mot à la mode). Le retour à la réalité piquait un peu… Je vous invite à lire ce joli texte d’une ancienne lectrice de ce livre.

 

Résultat de recherche d'images pour "les patins d'argent"Un peu plus tard, j’ai tant aimé lire Les patins d’argent (1865) ! Cette fois-ci c’est ma Maman qui tenait absolument à me faire lire ce classique de son enfance. On entrait dans l’univers féérique de la Hollande pétrifiée sous la glace hivernale au XIXe siècle. On se passionnait pour ces courses en patin, et ce frère et sa soeur très pauvres dont le père était affligé d’une terrible maladie… Leur seule rédemption passait par la victoire à une compétition. Ce roman est merveilleux.

Dans le domaine du merveilleux proprement dit, il y avait ce bijou de fantasy anglaise vintage pour les enfants (Ed. Bulle d’or, plus édité) : La princesse et le goblin de George MacDonald (1872). A conseiller aux amateurs de gnomes en tout genre, et à tous les amoureux de la « petite princesse » de Burnett.

Je ne peux pas faire l’impasse sur cette série-culte de mon enfance, lue la première fois pour mes 9 ans. Mes parents me vannent encore aujourd’hui pour ma passion pour la famille Ingalls que tout le monde connaît avec La petite maison dans la prairie. Avant d’être une série TV à succès, c’est une saga en 9 tomes écrite par Laura Ingalls à partir de ses souvenirs d’enfance (édités par la collection Castor poche de Flammarion dans les 1990’s). Allant de sa petite enfance à son mariage, j’étais tellement amoureuse de la vie (pourtant rude) de ces pionniers américains que j’aurais voulu me télétransporter dans le Kansas des années 1880.

Résultat de recherche d'images pour "le tour du monde en 80 jours"J’ai aussi eu ma grande période Jules Verne (mais je crois que je serais incapable d’en relire à l’heure actuelle). Mon préféré absolu était, sans originalité aucune, Le tour du monde en 80 jours (1872). Quoi de plus haletant que cette course autour du globe du plus anglais des Anglais, Sir Phileas Fogg (pour qui la température de son thé pouvait valoir le renvoi de son personnel) et de son valet français Passepartout, poursuivis par le policier Fix ? Je dois à Jules Verne une délicieuse terreur exotique grâce à sa fameuse scène du sati en Inde. J’aimais bien aussi Voyage au centre de la Terre et Les enfants du capitaine Grant.

Résultat de recherche d'images pour "sans famille hector malot"Combien de fois j’ai pleuré en lisant l’histoire de Rémi Sans-Famille ? Heu, à peu près autant de fois que je relisais les passages où son mentor Vitalis mourait, où ses singes et chiens savants mouraient, et où les mineurs mouraient dans la mine. Hector Malot, cet Emile Zola des enfants. Heureusement, après bien des mésaventures, ça se terminait bien pour lui.

Quand j’essaie de me rappeler un coup de coeur de moi pré-ado, je pense toujours à celui-là. Bonne nuit, Monsieur Tom ! (1998) de Michelle Magorian est l’histoire d’un petit garçon anglais pendant la Seconde Guerre mondiale. Evacué de Londres pendant les bombardements, il est recueilli à la campagne par un vieux monsieur bourru. Entre les deux se tisse une relation d’affection qui prend une teinte tragique quand la mère du garçon veut le récupérer. Un roman inoubliable dont le contexte historique m’avait également marquée.

Résultat de recherche d'images pour "le club du samedi livre"Un autre must-read, une autre perle, un autre bijou (j’ai de quoi remplir un coffre à trésor). Là je veux vous parler du Club du samedi d’Elizabeth Enright (1941). Une fratrie de quatre enfants new-yorkais à qui il arrive des tas d’aventures après la création d’un club mystérieusement nommé C.E.S.A.R. C’est un récit plein d’humour, à hauteur de personnage, chaque frère et soeur ayant son caractère bien à lui et des préférences affirmées. J’adorais ces frères et soeurs qui arrivaient à fonder un club et vivre des aventures (réalistes) dans la Grande Pomme ! Il n’est malheureusement plus édité en français (mais trouvable d’occasion, édition de 1972). Trois autres romans forment une suite au club du samedi, mais je ne les ai jamais lus.

Image associéeAllez, encore une perle. Ces dames au chapeau vert de Germaine Acremant (1921), vous connaissez ? C’est l’histoire d’Arlette, une jeune Parisienne moderne envoyée chez ses quatre vieilles cousines, vieilles filles caractérisées par la verdeur de leur couvre-chef et qui vivent dans « le plus vieux quartier d’une des plus vieilles villes du Pas-de-Calais » (merci Wikipédia de me rappeler ce détail). C’est une comédie de moeurs au ton piquant, une satire très drôle de la province, mais ça, je ne me rendais pas trop compte à l’époque. Ce que j’adorais, c’était les histoires de coeur qui s’entrecroisaient avec un certain parfum de mystère, et les piques que s’envoyaient Arlette et l’aînée des cousines, l’autoritaire vieux-jeu Alcide.

Acheter le livre d'occasion Le cousin du Brésil sur livrenpoche.comUne autre pépite (oui, oui) exhumée de vieux rayonnages poussiéreux : Le cousin du Brésil de Lucie Rauzier-Fontayne (bibliothèque verte, 1966). Elle m’a fait tellement battre le coeur cette histoire d’une rencontre entre deux soeurs menant une petite vie tranquille dans leur mas provençal, et leur beau et fringant cousin tout droit venu du Brésil pour réclamer une part de la succession. Dans des parfums de lavande et de bruyère, je suivais toute émoustillée l’évolution des relations de ce trio digne d’une comédie romantique.

Résultat de recherche d'images pour "les trois mousquetaires"Qui n’a jamais vibré à la lecture des Trois mousquetaires, nan mais allo quoi ?? Qui n’a jamais été transporté par la bravoure, le panache, le sens de la camaraderie de ces trois-là qui étaient en fait quatre ? Qui n’a jamais frissonné devant les méfaits de la vénéneuse Milady et les secrets de famille d’Athos ? Qui n’a jamais été happé par leurs aventures à l’ombre du roi et de Richelieu ? Celui-là, qu’il se dénonce et j’irai le provoquer en duel ! 😂

Image associéePour faire le pendant aux mousquetaires, Les quatre filles du docteur March de Louisa May Alcott (1868). Evidemment, moi aussi je suis passée par là. Moi aussi j’ai aimé leur entre-soi féminin pendant que Papa est à la guerre (de Sécession), moi aussi j’ai adoré la rebelle Jo avec ses velléités d’écriture, et détesté cette peste d’Amy. Une autre famille américaine protestante du XIXe siècle comptant quatre soeurs, comme la famille Ingalls… Strange, isn’t it?

Un roman qui a beaucoup compté pour moi : La grand-mère aux loups d’Elisabeth Bourgois (Ed. du Triomphe, 1999). Je me suis laissée dire que le style de l’auteure laissait à désirer. Soit, mais à l’époque, cela ne m’avait pas perturbée. C’est l’histoire d’une famille du nord de la France, centrée sur le personnage de Camille née en 1900, et qui court jusqu’aux années 1990. En lisant ce livre, j’avais l’impression de me prendre le grand vent de l’histoire en pleine figure et le destin de certains personnages me laissait dévastée…

Résultat de recherche d'images pour "le prince eric"Le prince Eric de Serge Dalens, une saga souvent connue que par un petit cercle abonné aux valeurs du scoutisme, lecteurs de la fameuse collection « Signes de piste ». Un parfum parfois daté mais un souffle aventureux au charme puissant, confinant au mythe, qui m’entraînait sur les traces du blond Eric Jansen, prince de l’île imaginaire de Swedenborg au nord du Danemark, et de son ami scout, le brun Christian d’Ancourt (beaucoup plus intéressant que son compère, si vous voulez mon avis). Des complots, des amis à sauver, des méchants à combattre, le tout  saupoudré d’humour (parfois) et de références culturelles, avec pour toile de fond l’Europe des années 1930 : un récit aussi captivant que devaient l’être les romans de chevalerie au moyen-âge, et en fin de compte, un très bel hymne à l’amitié (on passera sur les valeurs parfois franchement vieille France de l’auteur).

Résultat de recherche d'images pour "le journal d'anne frank"Finir sur le Journal d’Anne Frank pour clore cette trop longue liste (des titres me reviennent au fur et à mesure que j’écris), c’est proclamer une fois de plus l’universalité des écrits de cette adolescente hollandaise d’origine juive durant la Seconde Guerre mondiale. Claquemurée avec sa famille dans un endroit secret pour échapper aux rafles nazies, victime de l’inimaginable, certes, mais aussi incroyable que cela paraisse, une adolescente qui rencontrait à peu près le même genre de problèmes que moi à cinquante années de distance, et y répondait d’une manière lumineuse. J’aurais aimé être son amie (ceci est encore valable aujourd’hui).

Dans le genre classique universel, j’ai aussi lu et aimé dans mon adolescence : La Vénus d’Ille de Mérimée, Le roman de la momie de Théophile Gautier, Boule-de-Suif de Maupassant, Le monde perdu de Conan Doyle, Le père Goriot de Balzac, L’archipel aux sirènes de Somerset Maugham et last but not least, Les Misérables d’Hugo. Comme vous le voyez, j’étais plutôt branchée sur des livres « ancien régime », même si au CDI de mon collège j’ai pu dévorer à loisir les Marie-Aude Murail, Chair de poule et autres Susie Morgenstern (et Harry Potter prêté par ma copine Rosa). Mais incontestablement, ce sont les lectures listées ci-dessus qui m’ont le plus marquée au niveau émotionnel.

Et vous ? Quels sont les livres que vous lisiez enfant et dont vous vous rappelez avec le plus d’affection ? Avez-vous lu certains de ces livres ?

*Edit : à la suite de plusieurs commentaires (oraux ou écrits) à propos de cet article, je me dois de rajouter trois séries qui furent incontournables pour moi dans mon enfance-adolescence :

  • La série des « Alice » de Caroline Quine : où une sylphide blonde en cabriolet bleu dénouait des énigmes et affrontait des personnages malintentionnés. Un mélange d’Hitchcock et de club des cinq.
  • Peu après, je suis tombée amoureuse du plus romantique et du plus stupéfiant des gentlemen cambrioleurs, Arsène Lupin de son nom le plus connu (mais cet homme volage était amoureux de « Raymonde » ou de la Cagliostro si je ne m’abuse). J’ai un très vif souvenir de « l’Aiguille Creuse », avec sa plongée dans une histoire multiséculaire enracinée dans un lieu de Normandie que je connais bien et cette énigme extraordinaire… Que ce soit de Maurice Leblanc ou d’autres auteurs, les aventures d’Arsène Lupin m’ont toujours enchantée.
  • J’ai lu aussi plusieurs romans de « Trilby » (réédités par les éditions du Triomphe). Cette ardente militante des Croix-de-feu (pour vous donner le ton) avait un don pour écrire des histoires captivantes pour les enfants. De l’histoire du petit prince indien venu séjourner en France aux aventures de cette petite « reine » d’un village provençal qui doit en rabattre de sa superbe après bien des aléas ; de l’amitié entre un petit garçon riche (mais nain) et une jeune fille pauvre (mais violoniste exceptionnelle) à la dure confrontation à la réalité d’une petite fille devenue libraire après la ruine de ses parents : l’arrière-plan moral était bien présent mais l’identification aux personnages et à tout ce qui leur arrivait fonctionnait à tous les coups !

Tolstoï, La Guerre et la Paix (1)

« Si tout le monde ne se battait que par conviction, il n’y aurait pas de guerre« 

On se sent un peu petit à l’heure de commencer la rédaction d’un billet sur un monument pareil. Je ne saurais même comment qualifier Guerre et Paix : un roman ? Ce mot ne contient pas toutes les implications philosophiques et historiques de l’oeuvre. Fresque romanesque, historique et critique me semble déjà plus approprié. Mais il ne faudrait pas faire du compliqué là où il n’y en a pas : Tolstoï a d’abord mis en scène des personnages pris dans le tourbillon d’une histoire qu’ils ne maîtrisent pas, une histoire écrite par les Napoléon, les tsars Alexandre, les généraux Koutouzov et Mack, les grands de ce monde et les aléas de la nature voire de l’inconscient collectif dirions-nous, si le concept existait à l’époque de Tolstoï… Ce faisant il se fait le démiurge d’un monde fourmillant, rythmé par de gros effets dramatiques mais aussi pas mal d’ironie. Le premier tome (qui fait déjà 1000 pages en poche) se divise en quatre « livres » qui alternent assez régulièrement des épisodes de « guerre » et des épisodes de « paix ». La guerre, c’est celle que les Russes mènent avec les Autrichiens contre la France de « Buonaparte » comme l’appellent dédaigneusement les nobles russes (Je ne quitte pas les ennemis de Napoléon, mais j’ai migré des Italiens de Stendhal vers le nord !) La paix, c’est la fausse paix des intrigues de cour et de salon dans Saint-Pétersbourg et Moscou vers 1805, la langueur de la campagne russe et les affres de l’amour et de la haine entre, et au sein même des familles de l’aristocratie…

Les scènes de guerre sont loin d’être glorieuses, c’est même plutôt la débandade pour les Russes et les Autrichiens pris de court par Napoléon (même si Tolstoï prend soin d’en rajouter sur la défaite des Autrichiens à Ulm, et sauve un peu la bravoure russe avec la demi-victoire de Krems). Les héros ne sont pas ceux qu’on croit : un simple capitaine peut être bien plus courageux et décisif que tous les jeunes aides de camp du général en chef. L’exaltation du jeune hussard Nicolas Rostov, puis sa confrontation à la réalité du champ de bataille est très bien rendue ainsi que son évolution vers un authentique troupier. J’ai trouvé cela plus réaliste que l’attitude d’un Fabrice del Dongo, peu marqué par son expérience à Waterloo. J’ai été surprise de la vénération presque amoureuse que les soldats vouent à leur jeune tsar. Tolstoï a vraiment un regard acéré sur les mécaniques inconscientes de la guerre, sur ce qui la rend possible.

On fait connaissance – entre beaucoup d’autres – du prince André Bolkonsky, froid et rigoureux, son père irascible qui vit loin de la cour et mène la vie dure à sa fille et terrifie sa belle-fille, mais aussi Pierre, le « bâtard » maladroit reconnu par son père et soudainement devenu un comte Bézoukhov très recherché, l’ambitieux prince Kouraguine et ses odieux enfants contrastant avec la charmante marmaille du comte et de la comtesse Rostov, telle la jeune et fraîche Natacha, ainsi que quantité de soldats, des plus hauts gradés aux plus simples troufions. On a ses sympathies et ses antipathies pour les uns et les autres, comme dans la vraie vie.

Guerre et Paix ne se raconte pas, et d’ailleurs je ne l’ai pas terminé. Mais ce n’est pas grave car Guerre et Paix, c’est un peu la « série » à la mode, le Games of Thrones des années 1850. Les « livres » qui composent l’oeuvre paraissaient au fur et à mesure et les gens se précipitaient dessus dès leur parution, au point que les stocks étaient vite épuisés. On peut donc l’arrêter et le reprendre un peu plus tard… Bénéfice de notre époque, notre ami Wikipédia offre un résumé de chaque livre, ce qui permet de se rafraîchir la mémoire si on le reprend au milieu… Pour l’instant je me suis arrêtée aux préparatifs de la bataille d’Austerlitz !

« La Guerre et la Paix » de Léon Tolstoï, Folio classique, tome 1, 1024 p.

Journal de lecture : La chartreuse de Parme

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« Le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi, et d’apprendre au monde qu’après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur. »

C’est par cet incipit plein de panache que commence La Chartreuse, et nous savons dès lors que la narration de Stendhal va adopter le rythme entraînant des victoires napoléoniennes et chanter les louanges de la bravoure, la jeunesse et la beauté. Ce sont en effet toutes les valeurs de l’auteur que porte ce grand roman classique : amour, gloire et beauté, mais aussi une certaine idée du bonheur en Italie.

Rendue à la page 200 très exactement (sur les 534 que compte mon édition poche), je vais tenter de résumer l’histoire pleine de tours et de détours que prend le roman jusque là, ce qui n’est pas une mince affaire :

En 1796, la Lombardie décrite par Stendhal ressemble à une femme sensuelle, longtemps assoupie dans la pesanteur de l’administration autrichienne, qu’un jeune amant fougueux aurait brutalement réveillée. Les victoires napoléoniennes et amoureuses sont en effet entrelacées et Stendhal prend clairement parti pour les Français et le peuple italien en plein « réveil », contre les notables réactionnaires symbolisés par le ridicule et engoncé marquis del Dongo.

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Ça m’a fait penser à ce tableau de Fragonard, un peintre que j’aime beaucoup, et qui était à l’honneur de l’exposition « Fragonard amoureux » récemment au Palais du Luxembourg.

C’est dans ce contexte de ferveur patriotique et de communion autour de la joie et la liberté (Stendhal aura pris soin d’embellir l’occupation française, qui a l’air de n’être qu’une longue fête du début jusqu’à la fin) que naît le fils cadet du marquis del Dongo, notre héros, Fabriiiiice (OK, je m’égare !). S’il n’a pas l’estime de son père, il jouit en revanche des faveurs de la nature (il est beau et brave contrairement à son frère aîné Ascagne qui est le portrait de son père – ce qui laisse d’ailleurs présumer une naissance illégitime de Fabrice probablement liée aux relations chaleureuses entretenues par la marquise del Dongo avec un officier français, le lieutenant Robert, au début de l’occupation) (ce n’est pas moi qui le dit, c’est Pierre-Louis Rey, le commentateur du texte). Il est donc le chouchou des dames de la maisonnée – sa mère, sa tante, ses sœurs – une maisonnée qui gîte entre Milan et la rive magnifique du lac de Côme (passages extatiques de Stendhal sur cet endroit pour qui c’est le plus beau du monde).

Les choses se corsent, si l’on peut dire, lorsque Fabrice, à l’âge tendre de 16 ans, part à la rescousse du Corse revenu de l’île d’Elbe et confronté à toute l’Europe sur le champ de bataille de Waterloo. Sacrilège pour papa del Dongo et son fils aîné ! Geste admirable pour toute la gent féminine qui prend le parti exactement inverse du prétendu chef de la maisonnée ! Stendhal montre décidément beaucoup de sympathie pour les dames, qu’il semble considérer comme plus libérales que leurs compagnons.

Bon, il faut le savoir, tout le chapitre sur les aventures de Fabrice à Waterloo est devenu cultissime – du moins à l’échelle des amateurs de Stendhal – car il a marqué l’histoire littéraire : pour la première fois un romancier décrivait la guerre « au ras des pâquerettes » en adoptant le point de vue d’un simple soldat, presque un quidam, qui ne comprend rien aux mouvements des armées et qui s’effraie de l’aspect particulièrement rebutant des cadavres jonchant le champ de bataille. Bienvenue dans la guerre moderne. Mais je dois dire que ce passage m’a aussi souvent fait rire car Stendhal ne se prive pas de souligner la naïveté du jeune Fabrice qui part bille en tête, persuadé qu’il va directement servir l’empereur (en fait il ne le voit même pas) et qui se fait emprisonner par des gendarmes français qui le prennent pour un traître, vu son fâcheux accent italien. Il se fait sans arrêt voler son cheval par des hussards ou autres dragons, voire par un général aux trousses duquel il se met à courir en criant « au voleur ! », ce qui est totalement bouffon, mais il dispose heureusement de l’aide d’une généreuse cantinière (encore une fois, honneur aux dames).

Fabrice arrive à sortir de ce bourbier sans avoir combattu (si, il a quand même abattu « son » Prussien comme s’il était à la chasse sur ses terres) mais son retour à la maison se révèle plus compliqué que prévu : parti sous un faux nom, son départ a quand même été dénoncé aux autorités autrichiennes qui ont repris le contrôle du nord de l’Italie, et son père le désavoue. Clandestinement, son pool de soutien féminin familial le fait « exfiltrer », et voilà notre Fabrice parti faire des études ecclésiastiques à Naples. Ah oui, parce qu’il faut dire qu’entre temps, sa jeune tante Gina, qui l’aime tellement, est devenue veuve (son mari, le comte de Pietranera a été assassiné au retour des Autrichiens car il était pro-français). Quel est le rapport ? Eh bien, pauvre mais très considérée dans la haute société milanaise, d’autant qu’elle est très belle, elle se fait courtiser par de très beaux partis, qu’elle rejette dédaigneusement. Mais arrive le comte Mosca, le super-ministre de la minuscule cour de Parme (ou règne une sorte d’Ubu roi absolutiste) et voici que ce dernier parvient à conquérir la belle. Sauf qu’il ne peut l’épouser car il est déjà marié. Qu’à cela ne tienne, il s’arrange avec le vieux duc de Sanseverina, riche à millions, qui accepte d’épouser Gina tout en la laissant entièrement libre de ses faits et gestes (un bon deal, et fort pratique pour l’histoire qui va suivre).

Bref, nous arrivons enfin à Parme, ce qui justifie la 2e partie du titre du roman. Gina est devenue « la » Sanseverina, et la coqueluche de la cour de Parme même si elle y a quelques ennemis (bizarrement, le clan « libéral »). Elle obtient pour Fabrice une bonne carrière ecclésiastique et la promesse de succéder un jour au vieil archevêque de la ville. Ça ne plaît que moyennement à notre Fabrice de 20 ans, ivre de conquêtes, mais bon, il n’a pas tellement le choix, dans sa condition de persona non grata à Milan. Le hic, c’est que ce vieux beau de comte Mosca, valet de cœur de la Sanseverina mais tout puissant premier ministre, se rend compte que les sentiments de sa maîtresse pour son neveu se font de plus en plus tendre, et il devient… jaloux ! Ouh c’est vilain. Je laisse peser le suspense de savoir s’il arrive à retenir sa fureur ou pas…

Voilà pour l’instant. Je crois que mon résumé donne l’impression d’un vrai feuilleton. Et il y a un peu de ça en effet : il y a d’un côté les « beautiful people » qui malgré les déboires s’en sortent toujours, de l’autre les méchants, les traîtres, il y a le vieux sage (l’abbé Blanés) et puis les faire-valoir… Les relations se nouent et se dénouent, semblent évoluer rapidement. On n’est pas du tout dans le roman bourgeois naturaliste. Pas tellement non plus dans le roman romantique, car il y a ce zeste d’ironie stendhalienne qui se distancie de tout moment de ferveur trop appuyé.

Les personnages sont peu décrits physiquement et leur portrait psychologique m’échappe en partie. Par exemple, je ne sais trop quoi penser du comte Mosca. On dirait que Stendhal a voulu, à travers lui, tenir ensemble des aspects contradictoires pour les besoins de son histoire : à la fois premier ministre appliquant rigoureusement la loi despotique d’un roi paranoïaque (ce qui explique la position proéminente tenue par sa maîtresse à la cour et toutes les intrigues qui s’ensuivent, mais permet aussi à Stendhal de fustiger l’absolutisme qu’il abhorre mais semble aussi le fasciner), Mosca a néanmoins un esprit libéral (!) et désabusé, prêt à tout laisser tomber pour passer une retraite dorée avec l’amour de sa vie (afin de rendre un minimum crédible sa liaison avec la jeune, belle et libérale Gina). J’ai un peu du mal à croire à son personnage, je l’avoue. Je ne connais pas grand chose à l’histoire littéraire mais j’ai l’impression que Stendhal est encore un peu un homme du XVIIIe siècle, adepte de la mentalité de cour et de ses intrigues, du jeu des titres et des positions, dont les ressorts nous semblent un peu vains, à nous hommes et femmes du XXIe siècle (qui avons aussi notre lot de vanités mondaines.

J’aime me plonger dans ce classique car la langue est pure, les anecdotes piquantes, les sentiments délicats et les aperçus de l’Italie de l’époque, directement issus des souvenirs de Stendhal, sont savoureux. J’aime aussi le fait que la lecture de la Chartreuse ait donné envie à Proust de visiter Parme (ce qu’il n’a jamais fait) car il trouvait que le nom de Parme était « lisse, compact, mauve et doux ». Mais j’avoue que je décroche un peu de l’histoire par moments, notamment pour tout ce qui a trait aux mille et un aléas de la vie de cour. Je n’arrive pas non plus à saisir tout le sens de la cour utilitaire que Fabrice fait à certaines femmes, même si je comprends qu’il s’agit, pour l’une d’entre elle, de faire dévier la jalousie de Mosca, qui le croit prêt à outrepasser la barrière des bonnes mœurs avec sa tante. Pourtant notre Fabrice n’a pas encore connu le grand amour, même s’il aime beaucoup sa tante, et il se croit imperméable à la passion… mais je crois que ça va changer lorsque les choses se compliqueront pour lui à Parme… Donc j’ai hâte qu’il soit emprisonné (oui je m’avance un peu sur la suite) et qu’il sorte de l’hypocrisie de la cour dans tous les sens du terme.

RDV le mois prochain pour la suite !

« La chartreuse de Parme » de Stendhal, Pocket Classiques, édition présentée et commentée par Pierre-Louis Rey, 1998, 570 p.

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