Les BD d’Etienne Davodeau

J’ai découvert Etienne Davodeau au détour d’un rayon de bibliothèque. Le titre de la BD m’avait happée : « Lulu femme nue ». Ça faisait un peu surréaliste, poétique, un titre à la Guy Goffette. J’ai aussitôt voulu en connaître davantage et j’ai été embarquée dans l’histoire de cette femme qui, sans prévenir, sans préméditation, ne rentre pas chez elle un soir et laisse son mari mal dégrossi se débrouiller avec leurs trois enfants.

Dès le début, on sait que cadavre il y aura. La BD construit une narration façon enquête qui remonte le cours des événements depuis leur point de départ (le départ de Lulu justement) pour aller vers une issue que l’on redoute et qui apporte une grande tension dramatique au récit.

Mais c’est d’abord et surtout une histoire d’émancipation au souffle prenant, alors même que les personnages sont plutôt médiocres. Lulu, c’était cette femme un peu terne qui avait toujours pris sur elle, n’avait jamais osé exprimer ses besoins et ses désirs, et se laissait écraser un mari certes aimant, mais braillard et dominateur, caricature du macho de canapé. Il suffit d’un coup de tête pour qu’elle prenne la tangente. Sans savoir du tout où elle va. Une décision qui change le cours de sa vie et la révèle à elle-même.

Dans ce road-trip provincial, l’aventure se profile au bout de la rue. Lulu se laisse guider par son instinct, les rencontres qu’elle fait, comme une barque dérive à l’océan. Elle n’anticipe rien, frise le dénuement total, se laisse saisir par les éclats d’humanité insolites des uns et des autres. Elle est vraiment « nue ». Mais peu à peu, elle se consolide, renoue avec sa féminité et devient une passeuse de liberté pour les autres.

On se laisse gagner par le sentiment de liberté totale que savoure Lulu, comme un bon bain frais dans l’océan. Le trait de Davodeau déploie subtilement cette ouverture d’une femme à la liberté : un trait sans chichi, un peu brut, qui capte bien les personnalités des personnages, à commencer par Lulu. Les personnages ne sont pas spécialement canons, mais ils sont attachants et vrais. Une BD humaniste.

J’étais tellement prise dans le suspense de ma lecture (mais que va-t-il arriver à Lulu ???) que je me suis mordue les doigts de n’avoir pas emprunté le deuxième tome en même temps que le premier. J’ai dû attendre trois jours pour connaître le fin mot de l’histoire (mais c’est toujours moins que les primo-lecteurs de la BD qui ont dû patienter deux ans entre la parution du premier et du deuxième tome). La fin est satisfaisante et moi je trouve ça réconfortant.

Par la suite, j’ai emprunté tout ce que ma modeste médiathèque communale suisse contenait d’albums de Davodeau : Chute de vélo, Les couloirs aériens, la trilogie d’Un monde si tranquille

J’ai beaucoup apprécié Chute de vélo, dont l’histoire rappelle un peu celle de Lulu, avec une construction circulaire, une histoire de famille, un dénouement inattendu, une critique sociale encore plus présente, mais aussi le même ton un peu rêveur. Une histoire très touchante. Mais je n’y ai pas retrouvé le même souffle que dans Lulu (pour moi son chef-d’oeuvre, adapté au cinéma par Solvéig Anspach et Jean-Luc Gaget).

Les couloirs aériens est le récit d’un homme de 50 ans qui s’enterre à la campagne pour faire le point sur sa vie à la mort de ses parents. Une cargaison d’objets de famille, les vieux amis, de nouvelles rencontres vont lui permettre de panser quelques blessures du passé. Cette histoire est basée sur des éléments biographiques car le récit est entrecoupé de planches de photos d’objets typiques des années 60-70 (un presse-purée, une vieille montre, des babioles jaunies…). Un récit nostalgique et doux-amer, qui prête à sourire.

Je suis moins entrée dans les histoires de la trilogie d’Un monde si tranquille (La gloire d’Albert, Anticyclone, Ceux qui t’aiment) même si elles sont bien construites. On est dans la veine de la fable sociopolitique à la critique incisive. La domination des nantis (La gloire d’Albert), l’oppression salariale (Anticyclone), le système médiatique (Ceux qui t’aiment) sont ici visés. On est dans une veine qui pourrait ressembler à ce qu’avait fait Jean Van Hamme dans les années 1980 avec SOS Bonheur (cette trilogie dystopique sur un monde totalitaire). Mais ici, le manque de réalisme n’est pas compensé par la finesse de la réflexion politique. On frise parfois la caricature. En tant que lectrice je me suis beaucoup moins projetée sur les personnages et leur histoire. Je trouve que Davodeau excelle beaucoup plus dans le récit réaliste, humaniste, que dans ce registre de fable critique.

Et vous, connaissez-vous le travail d’Etienne Davodeau ? L’appréciez-vous ? Quels autres titres me conseilleriez-vous ?

Petit Poilu, la BD des tout-petits

Une fois n’est pas coutume, aujourd’hui je vais non seulement vous parler BD, mais encore plus pointu : de la BD pour les vraiment petits, soit l’âge de mes filles, 4 et 2 ans.  Eh oui, il n’y a pas d’âge pour aimer les bulles (et pas que les bulles de savon, dont elles raffolent aussi évidemment…).

En fait de bulles, ici, il n’y en a point. Il y a simplement des cases et un drôle de petit personnage qui s’y balade, tout noir avec un gros nez rouge et quelques poils sur le caillou.

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Meet Petit Poilu.

Comme tous les petits enfants, la journée de Petit Poilu démarre par un lever en fanfare, un passage rapide devant le miroir, un petit-déjeuner jonché de céréales et un bisou de sa maman. Et hop, c’est parti ! Sur son chemin, Petit Poilu ne manque pas de croiser un phénomène étrange qui va décider de la suite de ses aventures.

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Dans les deux albums que nous possédons, Petit Poilu croise, dans “Le cadeau poilu”, une cigogne qui l’embarque et le balance dans la cheminée d’une petite fille trop gâtée pour Noël ; et dans “L’hôpital des docteurs Toc-Toc”, un nuage douteux qui le rend bon pour un tour sous le stéthoscope d’un fantasque duo de toubibs.

       

Cette BD est craquante à plus d’un titre, en vrac : les dessins tout ronds (qui font un peu penser à l’esthétique des Schtroumpfs) et une ligne simple en deux dimensions mais non dénuée de détails subtils – l’humour drolatique qui plaira aussi bien aux enfants qu’à leurs parents (ça doit être la délicieuse pointe de belgitude des deux auteurs) – une mise en scène rythmée pleine de petits gags visuels… Une combinaison d’ingrédients qui donne un résultat très original.

Mais le plus important est la leçon d’humanité que le courageux Petit Poilu retire de chacune de ses expériences. Bien que ces dernières soient “un poil” loufoques et irréalistes, destinées à faire rire en premier lieu, le petit héros se retrouve toujours aux prises avec d’authentiques sentiments rencontrés par les enfants et s’en sort avec bonheur (malgré les affres de la séparation d’avec sa maman) : la crainte du docteur, l’envie effrénée de cadeaux, la peur du noir, la joie de jouer ensemble, la taquinerie et ses limites… et l’importance de l’amitié. A la fin Petit Poilu retrouve toujours son papa et sa maman, à la plus grande joie de mes enfants (qui hurlent de rire devant la coiffure du papa soit dit en passant). Happy end à la mode enfantine donc.

Image associée

Le fait qu’il n’y ait aucun texte rend la lecture de cette BD très adaptée aux enfants qui ne maîtrisent pas encore l’alphabet. Quand nous la lisons (regardons ?) avec mes filles, nous participons toutes les trois à la mise en récit des images, récit qui peut changer légèrement d’une fois sur l’autre suivant la focalisation sur tel ou tel détail. Cela leur apprend aussi à lire les cases successivement et à interpréter les enchaînements de cause à effet visibles à l’image, ce qui leur offre une bonne initiation au monde de la bande dessinée.

Bref, elles peuvent la lire de façon autonome (enfin, surtout ma grande de 4 ans), mais elles ont besoin d’être encore un peu guidées. Les enfants plus grands pourront aussi se délecter des aventures de Petit Poilu, et pourquoi pas, les lire avec des plus petits. Vive la lecture à plusieurs  !

« Le Petit Poilu », de Céline Fraipont (auteur) et Pierre Bailly (dessinateur), 22 albums à ce jour, Ed. Dupuis, Coll. Première BD.

Le site de l’univers Petit Poilu c’est ici (un album à télécharger dans son intégralité et des fiches d’activités entre autres choses). Cette recherche m’a appris qu’il existait aussi des dessins animés de Petit Poilu, comme par exemple là :