J’ai lu du Jérôme Ferrari, une première pour moi. Jusqu’ici, l’auteur corse ne m’attirait pas particulièrement, mais c’était sans compter ma chère belle-mère, chez qui je suis tombée sur un vieux numéro de La Vie (hebdo bien connu des sacristies ayant le coeur à gauche) qui titrait « Le retour du héros religieux ». Il s’agissait de la rentrée littéraire 2018. Dedans il y avait une interview de Jérôme Ferrari qui parlait de son dernier livre, À son image. Il y évoquait notamment sa passion pour le chant polyphonique corse (catégorie chant sacré, donc).
Or moi, la religion dans la littérature, c’est un thème qui m’intéresse. Je sais que c’est un peu casse-gueule comme thème. Disons que ça peut autant verser dans le sublime élyséen que dans le sucré sulpicien (ou le simplement fumeux). Mais ça vaut le coup de voir comment un auteur contemporain aborde les rivages de l’invisible.
Invisible, c’est la question. À son image est autant un roman sur l’art de la photographie que sur la religion. Où l’on fait connaissance avec Antonia, jeune photographe corse qui a fait une croix sur une carrière de reporter de guerre pour se consacrer à la mascarade des photographies de mariage. Antonia se tue dans un accident de voiture. C’est son parrain curé qui célèbre ses funérailles, dont les différentes étapes, suivant le rite traditionnel (en latin), rythment le découpage des chapitres. Ce faisant on remonte jusqu’à l’enfance d’Antonia pour raconter la naissance d’une vocation, le basculement dans la violence des luttes nationalistes, et le lien de la photographie avec la mort.
Le lien de la photographie avec la mort, me direz-vous ? Selon l’auteur, qui cite Barthes, la photo fixe à un instant T « ce qui a été » (et n’est plus) tandis que la peinture suspend le temps dans une forme d’éternité.
Invisible, donc. On ne saura (presque) rien de ce qu’Antonia a vu et photographié pendant la guerre de Yougoslavie par exemple. Mais il y a des descriptions de photos, fictives ou non, en ouverture de chaque chapitre ; par ailleurs, deux chapitres « hors champ » racontent les histoires bien réelles de deux photographes de guerre du début XXe, avec forces détails macabres de leurs prises de vue, que ce soit de la guerre coloniale de l’Italie en Libye (toute résonance avec l’actualité étant fortuite – ou pas) ou de la Première Guerre mondiale dans les Balkans (toute résonance avec le conflit yougoslave de 1991, blablabla).
Invisible aussi pour moi, le fil conducteur unissant les différents thèmes que l’auteur met en avant : la photo, le nationalisme corse et le culte des tueurs, le sentiment religieux, la mort et l’au-delà, la relation d’Antonia avec les hommes, sa carrière avortée, son avortement (et le chant polyphonique, qui ne fait qu’une petite apparition finalement). Y a-t-il un sens caché derrière tout ça, du style « l’essentiel est invisible pour les yeux », ou bien l’auteur a-t-il assemblé ses thèmes fétiches au petit bonheur la chance ? J’ai parfois eu l’impression que l’histoire racontée n’était qu’un prétexte, et un coup d’épée dans l’eau : il ne se passe rien de significatif dans la vie d’Antonia, à part sa mort, et son personnage est creux et inintéressant au possible, pour tout dire. C’en est même frustrant à la longue. Pourquoi n’a-t-il pas écrit plutôt un essai sur la photographie, me suis-je demandée vers le milieu du livre.
Je m’aventurerais à citer les trois derniers paragraphes de la chronique du journal En attendant Nadeau, qui exprime – car il s’agit justement d’un problème d’expression – bien mieux que moi le malaise que peut susciter ce roman :
« À différents moments du cheminement d’Antonia sont encore formulés des doutes sur la valeur de la photographie, enfermée dans une alternative impossible entre l’insignifiance et l’irreprésentable. À chaque fois, revient à Antonia la lourde charge d’incarner et de faire vivre ces énigmes et ces insondables ambiguïtés du medium. À la longue, ces dernières finissent par prendre le pas sur le récit lui-même et, plus complexes et plus troubles que les situations où elles sont mises en scène, les étouffent.
On croit toujours entendre la voix de Jérôme Ferrari souffler derrière l’épaule de sa créature ses propres questionnements abstraits. Et cet affleurement permanent de l’auteur et de ses préoccupations dans le roman fait que les péripéties traversées par Antonia – y compris sa mort elle-même et l’échec de sa vie – restent extérieurs au lecteur. Même la construction élaborée du roman, calquée sur les périodes de la messe, peine à éclairer les relations existant entre la photographie et la mort, sur lesquelles Ferrari voudrait nous inviter à réfléchir.
Finalement, le roman donne l’impression de buter sur les mêmes écueils que ceux où achoppe son héroïne au cours de sa pratique de la photographie : une difficulté à exprimer. Il paraît frappé de la même impossibilité qui affecte la plupart des personnages enfermés dans des voies sans issues : impossible à Antonia de rencontrer sa vocation de photographe – elle y laissera sa vie –, impossible au parrain d’Antonia officiant le jour des funérailles de trouver la voix juste pour la remettre entre les mains de Dieu comme l’y invite sa mission. Impossible aussi, peut-être, aux amis d’enfance d’Antonia d’échapper au combat d’un nationalisme ancestral devenu stérile.«
Ne nous méprenons pas : j’ai apprécié tout ce que j’ai pu picorer de savoureux dans ce roman (les questions techniques), mais l’ensemble m’a paru singulièrement fade, alors même qu’on sent que l’enjeu de l’auteur est d’évoquer des sujets « pointus » dans une perspective un peu originale.
S’il y avait un personnage à sauver, ce serait celui du prêtre. Cas singulier d’un homme qui a décidé sans préméditation de devenir prêtre, au retour d’une soirée arrosée. Passeur de l’âme d’Antonia dans l’au-delà. Parrain en deuil, dont la paternité spirituelle n’était pas toujours très bien acceptée par sa filleule. J’aurais préféré que Jérôme Ferrari creuse davantage cette figure-là. La Vie avait raison, il y avait bien un héros religieux, et c’est celui qui m’a le plus intéressée.
« À son image » de Jérôme Ferrari, Actes Sud, 2018, 224 p.
je l’ai lu aussi, et j’ai été très déçue. Pas de la langue, qui est belle, mais de la construction que j’ai trouvée brouillonne alors que l’idée de départ était intéressante. Mais le résultat, je trouve, fait rapiécé et manque de cohérence.
C’est ça, c’est assez frustrant à la longue. Je te rejoins sur la beauté de l’écriture.
J’ai du vérifier, de lui j’ai lu le sermon sur la chute de rome, et puis… plus rien, tiens. je note les bémols
Si, comme souvent, un essai aurait été plus satisfaisant…
Ce n’est pas la première fois qu’un auteur écrit un roman, histoire que ça soit plus attractif ?, mais échoue à rendre ses personnages de fiction intéressants. C’est ça?
J’aime bien ta description de La vie, j’y ai été abonnée (genre 3 euros par mois, offre d’essai) j’aimais bien sauf les trucs trop cathos ou le programme télé (je n’ai pas la télé) mais j’aimais bien les articles de société, l’environnement, etc.
Oui, un essai aurait été définitivement plus satisfaisant.
Oui j’aime bien La Vie que j’ai découvert chez ma bm. Evidemment, c’est un magazine catholique, il faut s’attendre à trouver du contenu religieux 😉 Le ton est fidèle aux valeurs chrétiennes (de gauche:)) mais ouvert et pertinent.
Je me souviens de la parution de ce roman. J’étais tentée, j’ai hésité. Ce qui m’intéressais, c’était exactement le même thème que toi, et puis la photographie, l’invisible et le visible dans le même récit. Et puis, j’ai attendu, me disant plus tard, en format poche. Et plus le temps passe, moins j’en suis curieuse. Ton billet confirme que ce ne sera pas une lecture satisfaisante. ( sur cette » question » de l’invisible vs visible, as-tu vu le film l’Apparition ? )
Oui, on sent bien que ces thèmes : religion + photo + mort sont porteurs de multiples allégories (sur les limites du visible, et justement, c’est là l’aporie de ce roman). Je n’ai pas vu le film l’Apparition mais le résumé sur wikipedia me donne bien envie de le voir !
J’avais bien aimé Un dieu, un animal, son premier roman me semble-t-il. J’ai sur mes étagères Le principe et celui-ci, mais j’avoue que pour avoir parcouru les premières lignes du premier, qui m’a l’air bien complexe, et pour avoir lu de nombreux bémols sur le second, j’hésite à les y laisser….
Je note Un dieu, un animal, pour lui laisser une chance. Ça parle de quoi ? Car j’aime bien son écriture élégante, et si le fond rejoint la forme, cela doit donner une belle oeuvre.
Je t’admire d’avoir fini un livre qui ne te plaît pas, j’avoue qu’un livre qui me frustre ne tombe beaucoup plus rapidement des mains… Par contre, pour rebondir sur le commentaire de Maryline en effet, je conseille l’apparition, beaucoup plus nuancé et beaucoup que j’aurais pu croire..
J’ai d’abord sourcillé (« La Vie », ce n’est vraiment pas ma tasse de thé même si dans le genre catho il y a effectivement bien pire), puis tu m’as presque tentée, mais si ça ne t’a même pas plu finalement, je vais garder ma posture d’athée radicale.
J’ai trouvé que ce qui était dit sur la photographie n’était pas très original, même si intéressant, mais c’est sûr que le personnage du prêtre est le plus réussi. Il a lu Bernanos (ou Ferrari l’a lu, ce qui revient au même), il voit les jeunes du village partir et se détruire… Il y a là quelque chose. Le panorama de la corse indépendantiste n’est pas mal non plus.
J’ai lu deux Ferrari dont je ne me rappelle plus les titres : un m’avait beaucoup plu, l’autre beaucoup moins. Ce n’est pas forcément un auteur vers qui je retournerai spontanément, je crois. Il me manque quelque chose.