« Été 1979. J’avais 13 ans et deux mois, et je venais de terminer ma cinquième. Je n’avais pas d’amies intimes, mais j’aimais ma sœur plus que tout au monde, juste avant mon père. J’étais aussi amoureuse de Peter Frampton et de John Travolta, et je voulais être écrivain quand je serais grande. Ou bien espionne internationale, ou peut-être la première femme pilote de course. J’avais lu, quatre fois, le Journal d’Anne Frank, cornant les pages qui parlaient de sexualité et de sa colère envers sa mère, et je tenais moi-même un journal, sauf qu’au lieu d’y raconter des faits vrais, j’inventais des histoires avec deux thèmes principaux : de tragiques histoires d’amour et de folles aventures dans des pays que je découvrais grâce au National Geographic. » (p. 58)
Il est des livres qui nous font respirer plus au large, une bouffée d’air pur et piquant. C’est le cas de ce merveilleux roman de Joyce Maynard qui évoque la vie de deux sœurs, jeunes adolescentes dans la Californie des seventies. Le récit à la première personne prend le temps de revenir sur l’enfance de Rachel, 13 ans, et sa petite soeur Patty, 11 ans, qui ont la chance (et la malchance) de vivre au pied des monts Tamalpais, au nord de San Francisco, dans ce qui est une formidable réserve naturelle au bord de l’océan Pacifique. Vous la sentez déjà, cette brise marine parfumée aux herbes, chatouiller votre nez de lecteur ? Bercé par la bande-son de ces années-là (Carpenters, Knacks, Leonard Cohen, Dolly Parton…), le récit m’a captivée dès les premières lignes. Il prend le temps de musarder, se raconte au ras de l’adolescence, ce temps des premiers émois amoureux et de l’imagination débridée, celle de Rachel surtout, qui entraîne Patty dans d’extraordinaires équipées sauvages dans « la montagne ».
Grandes gamines poussées comme des herbes folles, élevées aux boîtes de soupe Campbell par une mère neurasthénique, choyées par intermittence par un père italo-américain qu’elles adorent mais qui a délaissé le foyer, elles ont la chance extraordinaire de vivre leurs aventures en toute liberté, sans horaires fixés, et comme bon le leur semble – un fait qui semble déjà exceptionnel dans les États-Unis des années soixante-dix (sans parler d’aujourd’hui). Rachel et Patty, elles, n’ont pas la télé car leur mère ne peut payer la redevance ; elles la regardent donc en cachette depuis dehors, à travers la baie vitrée des living-rooms du voisinage, inventant les dialogues qu’elles n’entendent pas. C’est une activité qu’elles nomment « télé-plein air » ! C’est sur un de ces écrans muets qu’un soir elles voient apparaître le visage de leur propre père, l’inspecteur Torricelli. Il intervient à la télé en tant que responsable de l’enquête policière sur l’assassinat d’une jeune fille dont le cadavre a été découvert dans les monts Tamalpais, précisément le terrain de jeu favori de ses deux filles. Rachel se met en tête d’aider à tout prix son père dans son enquête, ce père-héros qui lui fait gagner un prestige inédit dans la cour de l’école. Une tragédie en plusieurs actes s’enclenche alors, qui ne laissera indemnes ni l’inspecteur, ni ses deux filles chéries. Une fois adulte, Rachel revient sur cet épisode traumatique de sa vie.
Inutile de dire que j’ai eu le coup de cœur pour ce roman. Il a suscité en moi de nombreux sentiments contradictoires : tendresse, malaise, rire, mélancolie… Comme tous les bons romans il ne se contente pas d’explorer un seul thème, mais fait jaillir d’une histoire marquante tout un tas d’étincelles, comme d’un silex : la sublime relation entre les deux sœurs, « l’hymne à l’adolescence, à ses outrances et à ses rêves » (comme le dit la 4e de couverture), la figure du père aimée et idéalisée, la pression du groupe au collège, les premières grandes désillusions, l’art de raconter des histoires, la poétique chorégraphie du basket-ball…
La mère pâtit de la surexposition flamboyante du père et de ses filles, très effacée, peu travaillée. Dommage car elle est sympathique pourtant cette ex-Mme Torricelli, dactylo qui aurait voulu aller à l’université et qui compense en squattant la bibliothèque municipale d’où elle rapporte tout un tas de livres (notamment un recueil de Sylvia Plath) qu’elle lit dans sa chambre en fumant des cigarettes. En échange de quoi elle fiche une paix royale à ses filles, même avec un tueur qui rôde dans la montagne au pied de chez elle… Je dois avouer que ça m’a fait travailler du chapeau, moi qui suis mère de deux petites filles (plus jeunes certes) : faut-il être une mère comme Mme Torricelli, libérale, limite distante, ou une helicopter-mom envahissante, ne lâchant son gamin que devant la porte d’entrée de l’école ou du cours de poterie ???
Seule la fin, un peu expéditive, ne m’a pas paru à la hauteur du reste. Un peu facile, elle rompt l’équilibre délicat, les émotions à fleur de peau, les sentiments tout en retenue de la partie « adolescence ». Mais qu’importe.
Bref, un coup de cœur. Merci au blogoclub, à Florence et vive le mois américain qui débute !
« L’homme de la montagne » de Joyce Maynard, traduit par Françoise Adelstain, Philippe Rey, 2014, 320 p.
Cela a été un coup de coeur pour moi aussi. C’est vrai que le roman développe de nombreux thèmes. Je n’avais cependant pas réfléchi au comportement de la mère, certes excessif dans son laxisme, mais que je mettais uniquement sur le compte de la dépression (cela me fait penser que je suis plutôt « helicopter-mom » !). Bref, un excellent roman !
et un roman de plus à guetter dans les librairies, un de plus!
Il est génial, il ne pourra que te plaire j’en suis sûre
un beau blog. un plaisir de venir flâner sur vos pages. une belle découverte et un enchantement.N’hésitez pas à venir visiter mon blog (lien sur pseudo)
au plaisir
Merci, j’irai y faire un tour 🙂
Ta lecture est très tentante ! Je ne me suis jamais penchée sur Joyce Maynard, il faudrait donc que j’y pense !
En attendant, je suis totalement à la bourre pour le mois américain puisque je n’ai rien entamé (je me suis déjà fixée de finir Monte Cristo ce week-end, enfin !).
Rien à voir sinon, mais j’espère que ton déménagement s’est bien passé et que tu abordes sereinement cette nouvelle rentrée !
Bises à toi :*
Une jolie découverte, oui. Là je suis plongée dans Bakhita de Véronique Olmi, c’est transperçant ! Sinon tu es gentille de prendre des nouvelles, notre arrivée s’est bien passée, on prend nos marques, on déballe nos cartons (y en a! ) et on découvre les joies d’habiter dans une maison près de la nature, dans un petit village. Pas de wifi encore et pas de forfait suisse encore, d’où ma faible présence sur les rs et les blogs!
et je n’ai toujours pas lu cet auteur qui fait pourtant partie de mes priorités! Zut !
Je te la recommande en effet !