Bon, j’avais doublement la pression à l’heure de rédiger ce billet. Déjà, Dicker l’écrivain aux 3 millions d’exemplaires vendus (pour le présent livre) est du genre clivant : il y a les inconditionnels et les fines bouches, les uns se retrouvant plutôt au sein de son lectorat majoritaire, les autres dans les rédactions de presse. Et puis, c’était quand même ma première lecture commune dans la blogosphère (j’ai l’impression d’annoncer que j’ai mis le pied sur la Lune !), réalisée avec Lili, la talentueuse tenancière du blog « La petite marchande de prose« , dont j’apprécie toujours les billets plein de finesse, de justesse et d’humour. Pression, vous-dis-je ! Concernant le premier point, mon verdict est digne de mes origines normandes : je suis partagée ! J’ai tenté de purifier mon appréciation de toutes les scories des préjugés… Mais je n’ai pas pu m’empêcher de goguenarder sans vergogne à propos des défauts évidents du bouquin 😀 .
Nous sommes d’accord : si ce livre se résumait à la liaison entre Harry, écrivain de 34 ans, et Nola, lycéenne de 15 ans, dans une petite ville du New Hampshire au milieu des années 70, il est certain que j’aurai lâché l’affaire au bout de 150 pages car je n’aurai pas eu la force d’en supporter 650 autres sur une love story dont l’intensité atteint son zénith avec cette phrase consternante : « Il (ou elle) l’aimait tellement » (égrenée plusieurs fois le long du livre pour enfoncer le clou). Quant aux dialogues des deux tourtereaux illégaux, ils sont d’une niaiserie qui frise le surnaturel. Juste pour le plaisir, voilà en gros à quoi ils se résument :
Nola : Oh Harry, vous êtes si beau, si élégant, je vous aime tellement ! Je me sens tellement petite à côté de vous ! Je veux être votre femme et prendre soin de vous.
Harry : Dis pas ça Nola…
Nola : Quoi ? Vous ne m’aimez pas ? Je suis laide c’est ça ?
Harry : Non je… notre différence d’âge…
Nola : Oh je vous déteste !
Ajoutez à cela des personnages globalement caricaturaux, des phrases totalement convenues sur le métier d’écrivain, des pointes de vulgarité et un style ciselé à la truelle, et vous aurez à peu près le tableau de « La vérité sur l’affaire Harry Quebert ».
Oui mais… pour être honnête, Jojo Dicker, comme l’appelle affectueusement Galéa, a plus d’un tour dans son sac. Et il sait drôlement bien nous mener par le bout du nez. La vérité dans « La vérité… » est plus fuyante qu’une anguille. Et on a bien envie de connaître le dernier mot : qui a bien pu tuer Nola, ce fatal été 1975 ? Le mystère reste opaque jusqu’aux dernières pages, et ceci est la marque de fabrique des bons polars. Le clou de l’enquête est qu’elle navigue entre passé et présent, entre 1975 et 2008, année où l’affaire resurgit brusquement avec la découverte du corps de Nola dans le jardin d’Harry, année où Marcus Goldman, jeune écrivain en panne d’écriture, ami et disciple de Harry, décide de dénicher le vrai coupable… Et les énigmes ne manquent pas : qui est Harry, un écrivain respectable et respecté ou un séducteur de gamine ? quelles étaient les relations de Nola, fille du pasteur, avec les autres habitants d’Aurora ? qui savait à propos de leur histoire d’amour clandestine et menaçait Harry en 1975 puis recommence à menacer Marcus qui progresse dans son enquête en 2008 ? Etc.
Dicker/Goldman (car l’auteur s’est un peu mis en scène sous les traits de son personnage principal, il faut le dire : jeune écrivain de best-sellers, beau, ambitieux…) arrive à nous prendre au jeu de l’enquête, des relations complexes tissées par les habitants d’Aurora, des secrets, des flash-backs… et des innombrables rebondissements. Le cadre est bien ficelé, on finit par devenir totalement familier de la petite ville d’Aurora, ses quartiers, son diner, ses plages, sa forêt… Et Goose Cove, la maison de bord de plage d’Harry est LA maison que je rêverais d’habiter.
Et puis finalement, ces personnages à la psychologie taillée à la hache (de bûcheron), peut-être sont-ils simplement… américains ?! (Amis de l’Amérique, bonjour !)
Bref, je me suis attachée à cette histoire et à ses personnages, tout artificiels soient-ils. Mais je ne suis pas sûre d’avoir tellement envie de lire le nouveau livre de Dicker, celui qui vient de sortir. Je suis quand même très sensible au style, aux belles descriptions et aux réflexions subtiles… et tout cela m’a manqué dans « La vérité… ».
En y repensant, je crois que les lieux communs assénés par les personnages (notamment sur l’art d’écrire, c’est-à-dire de vendre beaucoup de livres, car les deux sont équivalents pour Goldman/Dicker) font partie de l’espèce de sympathie amusée qu’on éprouve pour le roman. La cerise sur le muffin, c’est la phase de pré-promotion du livre de Goldman : l’agitation surexcitée des différents services de la grande maison d’édition, de l’éditeur aux dents qui rayent le parquet jusqu’à l’équipe de « nègres », en passant par le marketing, est totalement jubilatoire.
Mais le style, monsieur Dicker, je fais une sérieuse fixette sur votre style. Peaufinez-le je vous en prie, « vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage etc », et vous serez tout-à-fait potable pour les lecteurs amateurs de belles lettres, tout en restant aimé de vos fans de la première heure. Mais alors, vous ne vous appelleriez plus Joël Dicker, je l’admets.
[Question subsidiaire : les vénérables Immortels ont-ils fumé leur jaquette à parements verts le jour où ils ont décidé d’attribuer le prix du Roman de l’Académie Française à Joël Dicker ? La Dicker-mania des ados qui ont décerné le Goncourt des lycéens à « La vérité… » a-t-elle contaminé leurs aînés de l’Académie ? Les yeux bleus du jeune écrivain en auraient-ils fait tourner la tête à quelques-un(e)s ?!]

ah, ah, excellent ! Je suis assez d’accord avec toi. C’est bien ficelé, je l’ai lu d’une traite, donc les lieux communs sont parfois passés inaperçus. Cela fonctionne bien (avec toutefois un peu trop de rebondissements à mon goût vers la fin si je me souviens bien) mais cela n’est pas assez travaillé. L’auteur a du talent c’est indéniable, mais il pourrait sans doute faire mieux…
Je suis d’accord sur absolument tout ce que tu dis dans ta chronique et la mienne il y a 3 ans était pratiquement identique (sur ce soul on est raccord). D’ailleurs j’avais été mitigée sur Harry QUébert et bizarrement j’ai été plus emballée par les Baltimore, et à lire ta chronique je viens de comprendre pourquoi : si le style est toujours aussi moyen, en revanche les personnages sont beaucoup plus travaillés, moins manichéens. Et surtout il n’y a pas un prétendu chef d’oeuvre aux extraits effrayants de mièvrerie.
Elle est extra ta chronique (et oui l’Académie Français l’a vraiment desservi).
Des bises
J’adore ta chronique, qui montre bien que nous sommes sur la même longueur d’onde !
J’ai ri en lisant le dialogue que tu cites entre Harry et Nola. C’est encore pire, pris hors du contexte !! Ça a tellement l’air d’une blague tellement c’est écrit à la truelle. Tu crois que ça résulte d’un pari entre pote ?
PS : entre potes*, parce que plus on est de fous, plus on rit !